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Publié le vendredi 16 mars 2018
Séminaire de l’ACF 2017-18 - Rouen
Séminaire interne : L’envers de la biopolitique. Une écriture pour la jouissance
Les samedis 18 novembre, 16 décembre, 17 février, 14 avril et 23 juin
Le Séminaire interne se poursuit en 2017-2018. Le livre d’Éric Laurent L’envers de la biopolitique, une écriture pour la jouissance reste le fil conducteur du Séminaire interne de l’ACF Normandie.
Pour relire l’argument de Serge Dziomba »
Dans l’après-coup, les membres du cartel soutenant l’élaboration du Séminaire interne témoignent : par exemple lors de la Matinée des cartels, ainsi que que dans des textes d’après-coup.
18 novembre :
Cette séance sera consacrée à l’étude du chapitre « De la sublimation comme jouissance ».
-Du corps symbolique…
A partir de « Radiophonie1 », nous dit E. Laurent, « le lieu de l’Autre n’est plus le lieu du discours qui prend en charge le désir éternisé du sujet2 ». C’est le corps qui devient le lieu de l’Autre par incorporation du signifiant. Ce signifiant mortifie la chair et « le corps […] comme cadavre s’en sépare3 ». Ce corps, que Lacan attrape à partir de la théorie des ensembles, est vide quant à la jouissance. C’est un corps incorporel, produit langagier. De ce fait la jouissance est hors corps, localisée dans des objets. Ce corps-vide est une surface d’inscription, « où s’accrochent les signifiants du sujet4 ».
- … au corps qui s’éprouve
Lors de la dernière séance de séminaire interne, nous avons abordé un autre corps, que le corps-vide : le corps-trou. Ce passage de l’un à l’autre modifie la conception antérieure de la jouissance, elle fait ici retour dans le corps. Ce corps-trou devient jouissant et irreprésentable. Le corps de LOM « ça se sent5 » ! Ce corps-trou de LOM, le parlêtre ne cessera de vouloir le combler à l’aide de représentations imaginaro-symboliques. Deux facettes du signifiant sont alors distinguées par Lacan : L’une renvoie à la dimension « phonique » où le signifiant est véhiculé par la parole. L’autre est « écriture ». Cette écriture est dite « faunique » par Lacan car en aucun cas elle n’est soumise aux règles auxquelles toute écriture est supposée se plier comme la transcription, l’impression, la représentation. L’écriture faunique signe ce qui ne peut se dire. Liée à l’indicible, éprouvé dans le corps, elle est « notation6 » de cet éprouvé. Elle ne relève pas d’un dire mais d’« un faire7 » que Lacan note à partir du terme « f.a.u.n.e. ». Ici Lacan détache, désarticule chacune des lettres qui composent le signifiant, ainsi il brouille toute référence au phonème comme au monème pour marquer l’appui qu’il prend sur le caractère détaché du sens et de la phonation. Lacan nous indique par-là que ni le sens ni même le son ne permettent de noter ce que le corps de LOM éprouve. Cette écriture n’est autre que l’éprouvé lui-même : la jouissance qui ne peut être dite s’écrit en deçà de l’image, du sens et du son, elle est réelle.
Nous avons un corps-vide, surface d’inscription sur laquelle s’accrochent les signifiants produits par le sujet. Et nous avons aussi un corps-trou, corps de LOM qui « apparaît comme accroc ou anicroche dans le tissu signifiant8 ». Avec le corps-trou apparait un corps d’avant le miroir. La conséquence en est que « ce qui accroche le signifiant n’est plus un signifiant-maître modulé par la voix, mais un trou […] pris dans une notation9 » . Il y a passage du sujet de l’inconscient freudien au corps parlant lacanien. Soit le passage d’un corps comme lieu de l’Autre où le sujet articule des signifiants-maîtres venant s’inscrire sur ce corps pris comme surface, à un autre corps : un corps-parlant traumatisé par ce qu’il éprouve nécessitant du signifiant, un corps pré-imaginaire.
Ainsi cet éprouvé faunique reste en dehors du champ phonique et perturbe la langue. L’écriture faunique a non pas des effets de mortification sur le corps mais des effets de jouissance dans le corps. Là où le phonique traumatise le sujet, le faunique, lui, traumatise le corps parlant. L’écriture devient « notation » de l’éprouvé dans le corps. E. Laurent indique que Lacan souligne chez Joyce « une erreur d’écriture10 », c’est-à-dire une absence de cet éprouvé. Chez Joyce il n’y a pas écriture d’un éprouvé. L’écriture est coupée de l’éprouvé et c’est son sinthome de littérature qui vient à la place de ce non-rapport.
-Le cas d’un adolescent éclairé par « une logique de sacs et de cordes »
Dans cette perspective, qu’en est-il pour cet adolescent en mouvement perpétuel ? En sport, il peut courir sans baisse de régime au point qu’une intervention est nécessaire pour l’arrêter tant il ne semble pas prendre en compte ses limites physiques. De même, il peut sortir sans ses chaussures et être en tee-shirt été comme hiver. Il présente également un mérycisme important. Là où je le rencontre, je remarque qu’il s’est fait un circuit : il se déplace en longeant les murs ou les bordures. De même, son agitation cède lorsqu’il se loge dans des coins ou des renfoncements. Il commence également à se mettre dos au mur et à former des lignes d’objets avec lesquelles il va s’entourer. De menus objets (voitures, barrières, animaux…) forment ces lignes. Il est maintenant à l’intérieur d’un espace clos, formé sur trois côtés par trois lignes d’objets, le quatrième côté étant le mur. Il me demandera que je lui fabrique des bracelets, des couronnes en carton pour les lui mettre sur le corps de façon à ce que ça « serre ». Un jour, alors qu’il est particulièrement agité, ne parvenant pas à s’arrêter, je lui poserais une couronne sur la tête. L’instant d’après il se fige et dit : « Je suis coincé ». C’est la première fois que je l’entends dire « je ».
Nous pourrions avancer l’hypothèse selon laquelle le travail sur le bord11que nous avons repéré chez cet adolescent apparaît bien comme une tentative répétée de se constituer un corps-trou là où il n’y en a pas. Le trajet de constitution de ce corps part du ça « serre » et abouti au « je ». A ce titre, le corps-trou vient servir d’appui au dire de cet adolescent. Dans le même temps l’agitation cède et il peut formuler des demandes à propos de son corps. Ces demandes témoignent du choix d’avoir un corps qui passe par la constitution d’un bord. Ce corps, corps-trou, devient surface d’inscription où s’accrochent toutes sortes d’objets et de signifiants. « Pour écrire la jouissance comme lien (nous dit E. Laurent), comme corde qui ficelle le sac du corps et noue les corps entre eux, il ne suffit pas de faire de la lettre un trou dans le symbolique (le signifiant), il faut prendre en compte l’imaginaire du corps-sac et le réel de la jouissance qui vient s’inscrire dans la corde-bord amenée à enserrer les bords du corps parlant12 ».
Notes :
1 Lacan J., « Radiophonie. Réponses à sept questions posées par M. Robert Georgin pour la radiodiffusion belge, 1970 », Autres écrits, p. 403.
2 Laurent E., L’envers de la biopolitique. Une écriture pour la jouissance, Coll. Le Champ freudien, 2016, p. 41.
3 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », leçon du 8 avril 1992.
4 Laurent E., op.cit., p. 41.
5 Lacan J., « Joyce le Symptôme » (1976), Autres écrits, p. 565.
6 Laurent E., op.cit., p. 111.
7 Ibid.
8 Ibid.
9 Ibid.
10 Ibid., p. 117.
11 Les angles de mur, les lignes d’objets, les colliers et couronnes, le circuit emprunté pour se déplacer constituent ce bord. Il n’y a pas de trou sans bord
12 Op.cit., p. 115.
Serge Dziomba, le Plus-Un du cartel, a mis en exergue du commentaire du chapitre « Jouir à corps perdu » quatre points qu’il a extrait des interventions des trois autres cartellisants : 1- Le changement de statut de l’objet dans le dernier enseignement de Lacan, témoignant du passage d’un objet fantasmatique avec ses significations (pulsions orale, anale, vocale, scopique + rien et phallus) à une pure répétition solitaire que Lacan appelle « trait ». 2- L’Autre n’« existe » pas depuis « Subversion du sujet et dialectique du désir » mais il change de statut avec le trait de répétition. Il faut ici distinguer le trait différentiel du signifiant dont l’écriture minimale est S1≠S2 et le « trait d’écriture » caractérisé par une répétition solitaire du 1 qui ne fait pas appel au 2. 3- Dans le dernier enseignement de Lacan, on peut faire « lien social » à partir de la jouissance et non plus à partir de la « castration pour tous », c’est une nouvelle perspective illustrée dans ce chapitre par l’invention d’un nouvel « ego » par Joyce ; une invention est impliquée par ce qui se passe quand il n’y a pas de relation à la consistance imaginaire du corps, lorsqu’il y a « disparition » du corps en tant qu’il est « prêt à se détacher » 4- L’écriture du nœud borroméen ouvre à la possibilité de se passer du père et de sa version. Comme l’écrit Éric Laurent, p. 132, « L’écriture du nœud vise une articulation du corps, du bain de langage et du réel de la jouissance qui puisse se passer du père et de sa père-version. » Il ajoute, et c’est le point central de ce chapitre, « l’enjeu est de savoir jusqu’où il est possible de remplacer le lien installé par ce que Lacan appelle l’intuition de Freud, entre amour du père et castration, et de se délivrer de cet amour pour le père. Comment cesser de penser la psychanalyse comme religion de la castration, qui fonde le lien social sur la castration pour tous ? »
Elodie Guignard a choisi de s’intéresser à la disparition du sujet telle que Lacan l’articule dans ses lectures successives du masochisme primordial freudien. Tout d’abord à partir du jeu de la bobine Fort/Da : Freud considérait ce jeu comme la manifestation d’un masochisme primordial impliquant la répétition passive d’une expérience de perte (p. 119). Lacan, dès le début de son enseignement, rompt avec cette lecture freudienne et y voit une « symbolisation active nécessaire de l’absence », il donne comme condition fondamentale au Fort/Da une « condition symbolique » ; il invente un « vide de libido du sujet » qui peut être rempli par une satisfaction symbolique universelle. Plus tard, dans son commentaire du fantasme « Un enfant est battu », Lacan expose un masochisme « hors lien avec le père » : la formule du second temps nécessaire de ce fantasme tel que Freud le reconstruit, « mon père me bat », n’est rien d’autre que la formule du masochisme primordial – « le sujet a vu l’autre être précipité de sa dignité de sujet érigé, de petit rival », s’ouvre alors au sujet la possibilité même « d’annulation subjective ». Lacan élabore le masochisme non pas à partir de la douleur tégumentaire mais en tant qu’il est « articulé à la place vide du sujet » voué à disparaître, « réduit à un chien maltraité n’ayant plus droit à la parole ».
Cette première partie du chapitre « Jouir à corps perdu » introduit à l’examen par Éric Laurent du « masochisme » de Joyce, dans l’épisode d’Ulysse intitulé « Circée », dans ses lettres à Nora, mais surtout dans le souvenir d’enfance relaté dans Portrait de l’artiste en jeune homme, celui de la raclée, dans lequel « le détachement de l’ego où s’articule la place vide du sujet » est plus fondamental que le masochisme pervers : le « détachement du corps » doit être distingué du masochisme.
David Coto, lui, s’est intéressé à deux corps dans l’enseignement de Lacan, le « corps du Deux » et le « corps du Un ». Le « corps du Deux » est celui de l’enseignement de Lacan avant « Radiophonie » : l’Autre de l’intersubjectivité y est premier, et relève de l’articulation signifiante S1-S2. Ce corps du Deux est celui du symptôme freudien, et plus particulièrement celui du symptôme hystérique qui suppose un Autre préalable auquel l’hystérique s’identifie : au fondement de cette identification, il y a l’amour du père comme lien à l’Autre ; en ce sens, l’hystérique parle la langue du père. En-deçà du symptôme hystérique, il y a la « forme logique fondamentale du symptôme » qui se déduit des « restes symptomatiques » à la fin de longues analyses, où se dévoile une structure qui doit être considérée comme première – l’Autre passe au second plan, les particularités de l’objet fantasmatique s’évanouissent, révélant la « singularité du programme de jouissance » : l’objet se réduit à la répétition du même « trait », un « trait d’écriture » sur le corps. Lacan donne à la répétition la valeur de « trait d’écriture ».
Il s’ensuit un changement fondamental dans le statut du lieu de l’Autre. L’Autre, jusqu’à « Radiophonie », était situé dans le discours (inconscient comme discours de l’Autre, désir comme désir de l’Autre) ; à partir de « Radiophonie », le lieu de l’Autre devient le corps par « incorporation du signifiant », il y a incorporation directe du symbolique, l’Autre devient « cicatrices sur le corps tégumentaire ». Le symptôme hystérique induit un corps-vide où viennent s’accrocher les signifiants du sujet, un corps « surface d’inscription de la jouissance », tributaire de l’articulation signifiante, du Deux. En-deçà, il y a le « corps-Un de l’individu », le « corps-trou », directement branché sur la jouissance : l’écriture RSI « décerne » le corps en lieu et place de l’articulation signifiante de la langue du père et de la dimension spéculaire. Le cas paradigmatique de Joyce permet d’arracher le corps au « régime du père ». Avec Joyce, nous avons un corps sans image qui « n’est pas accroché au Nom du Père » et qui « permet d’écrire une formule de négativation de la jouissance du corps qui ne relève pas de la castration » (p. 132).
Christelle Pollefoort s’est intéressée à l’ego de Joyce, à sa faute d’écriture et à l’invention d’un nouvel ego correcteur par son art-sinthome, un ego de raboutage qui corrige le nœud raté « à l’égal du Nom du Père comme quatrième rond » (p. 144). Il y a chez Joyce une absence d’écriture de l’éprouvé dans le corps, une absence de « notation » de « ce qui se sent » et qui n’a pas de représentation. Cette « faute d’écriture du corps propre » se repère dans l’épisode de la raclée : grand I fout le camp, glisse, « le rapport imaginaire n’a pas lieu ». Comme l’écrit Joyce, après la raclée, le souvenir des coups n’éveillait en Stephen aucune colère : « Toutes les descriptions d’amour et de haine farouches, qu’il avait rencontrées dans les livres, lui paraissaient, de ce fait, dépourvues de réalité. Même cette nuit-là (…) il avait senti qu’une certaine puissance le dépouillait de cette colère subitement tissée, aussi aisément qu’un fruit se dépouille de sa peau tendre et mûre ». Là où il y a une faute d’écriture de l’ego de Joyce (représentation du corps qui fait poids), il y a la « métaphorisation du corps » qui écrit le corps comme une chute, un détachement « comme une pelure », une « glisse hors du nœud » (p. 141). D’où la question de Lacan, s’il y a laisser-tomber du rapport au corps propre, comment ça tient ensemble (RSI) ? Il faut le quatrième rond de ficelle de « l’ego de jouissance » : l’écriture de Joyce est sinthome d’une langue qui « bruisse d’échos », qui n’a pas trouver à s’ordonner dans le régime du père. L’écriture de Joyce « soutient une expérience subjective où le corps s’articule avec la jouissance hors sens » (p. 141), elle révèle une « passion pour l’énigme qui fait trou dans le langage » : comme le note Lacan « non seulement ça foisonne, mais on peut dire que Joyce a joué là-dessus, sachant très bien qu’il y aurait des joyciens pendant deux ou trois cent ans. Ce sont des gens uniquement occupés à résoudre des énigmes ». Lacan y voit la conséquence du raboutage de son ego « de fonction énigmatique, de fonction réparatoire ».
Samedi 23 juin :
La prochaine séance du séminaire interne sera consacrée à l’étude et le commentaire du chapitre « Joyce et la pragmatique du saint homme ».
Ce séminaire est organisé par un cartel composé de David Coto, Elodie Guignard, Christelle Pollefoort, Plus-Un Serge Dziomba.
Il aura lieu les samedis 18 novembre, 16 décembre 2017 ANNULÉ, 17 février, 14 avril et 23 juin 2018 de 14h30 à 17 h.
Maison de la psychanalyse en Normandie,
48 rue l’Abbé de l’Epée, à Rouen (76).
Consulter le plan d’accès ».
Participation aux frais : 5 € par séance, 20 euros pour les 4 séances.
Ce séminaire est réservé aux membres de l’ACF-Normandie. Les non-membres qui souhaitent y participer peuvent adresser leur demande à Marie Izard-Delahaye, déléguée régionale de l’ACF.
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