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Publié le mardi 23 février 2021

En attendant le colloque de l’ACF au Havre en mai 2021

Préliminaires 4

Actualités de la causalité psychique - Que devient la folie dans nos pratiques ?

Quentin Metsys, Allégorie de la folie

Nous avons le plaisir de vous annoncer que ce qui devait être un après-midi de travail sera finalement un colloque qui durera toute la journée.

Accueil à partir de 9h
Fin des travaux à 17h

Institut des Formations Paramédicales
28 rue Foubert – Le Havre

Nous aurons le plaisir d’avoir parmi nous Fabien Grasser, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP, psychiatre des hôpitaux, ancien chef de service de l’Unité clinique Jacques Lacan à Yerres, ancien directeur du CPCT (Centre Psychanalytique de Consultations et de traitements) de Paris.

Réservez dès à présent la date du samedi 29 mai 2021.

Ce numéro de Préliminaires comprend :
- L’argument proposé par Catherine Grosbois, déléguée régionale de l’ACF en Normandie
- Un texte « Mais c’est quoi le mental ? » » par Jean-Louis Woerlé


Pour préparer le colloque Actualité de la Causalité psychique - Que devient la folie dans nos pratiques ?, on peut lire :
- La présentation du colloque Actualité de la Causalité psychique - Que devient la folie dans nos pratiques ?
- Préliminaires 1
- Préliminaires 2
- Préliminaires 3
- Préliminaires 4
- Préliminaires 5
- Préliminaires 6


ARGUMENT


La science est devenue une composante incontournable de la matière de nos réflexions. Même quand les conditions nécessaires de production du savoir scientifique s’estompent, nous rencontrons, nous nous servons de ces données.
Et là, dès que la pratique s’appuie sur la Science, y compris celle des laboratoires et des experts, surgit un malentendu.
Dans notre quotidien, dans ce qui fait la pratique de nos métiers, soignants, enseignants, politiques et policiers ou juristes, voire simplement le questionnement que nous pouvons avoir au sujet de notre santé, ou des guides de nos actions, nous constatons des vides, des manques, des cas singuliers, des apories, des impasses.
Ou alors, surgit une question sans réponse : qui croire ? Dès que nous ne sommes plus « spécialistes », ou experts, la question devient insoluble. Son énoncé même reste problématique. Car justement l’un des fondements de la science est d’exclure le singulier de la croyance.

Le texte des Ecrits de Jacques Lacan, « Propos sur la Causalité Psychique », qui a été prononcé juste après la deuxième guerre mondiale, met en tension ces questions.
En soulignant la singularité de chaque un, chacun qui se questionne, par exemple dans l’expérience de parole avec un analyste, qui fait surgir la possibilité de s’attribuer un inconscient, et donc ouvre aux questions de l’action de l’interprétation, nous pourrons suivre l’actualité de ce texte.
Mais aussi, l’actualité de l’enseignement de l’auteur, Jacques Lacan.

La place essentielle faite dans ce texte à un mot qui est devenu à la fois rare, non scientifique, et à la limite de pouvoir être dit, car non conforme à l’expression dite correcte, la folie, nous servira pour nous orienter.
Nous examinerons aussi les lieux qui ont accueilli cette folie, ou qui la rencontrent dans l’exercice quotidien, singulier. Nous essaierons de dégager les pratiques qui sont issues de ces lieux, les créations qui ont été avancées.
Nous questionnerons les objets qui ont surgi : aussi bien ceux qui servent les « diagnostiques » que ceux qui axent les « traitements » de ce qui est désormais « trouble ».

Au plaisir de vous rencontrer au Havre, le bien nommé pour nous accueillir, en présence si possible.

A bientôt,
Catherine Grosbois, déléguée régionale de l’ACF en Normandie


Mais c'est quoi le mental ?


Le n°1 de Préliminaires avait essentiellement porté sur l’écrit de Jacques Lacan « Propos sur la causalité psychique » dont Eric Guillot avait montré l’intérêt dans le débat actuel.

Nous avions terminé en indiquant que la notion de réel – réel différent suivant le champ dont il est question – amenait à une distinction fondamentale, puisque du côté des neurosciences il ne pouvait s’agir que de déficit alors que dans l’orientation lacanienne il est question de faille inhérente au langage lui-même. Cette faille va prendre différents aspects chez Lacan et nous en avions donné quelques aperçus ainsi que les élaborations sur « Déficit ou faille » de Jacques-Alain Miller1 dans son séminaire d’orientation lacanienne.

Dans le n°3 de Préliminaires nous avons poursuivi en étudiant le texte « Enseignements de la présentation de malades2 » de Jacques-Alain Miller qui nous a permis de distinguer les maladies de la mentalité et les maladies de l’Autre, les unes pour lesquelles il existe un dysfonctionnement au niveau du rond de l’imaginaire et pour les autres un dysfonctionnement au niveau du rond du symbolique.

Pour ce numéro 4 de Préliminaires, nous allons aborder un autre aspect étudié par la commission scientifique de ce colloque, à savoir qu’entendons-nous par ce terme de mental ?

La santé mentale et le mental


Et tout d’abord évoquons la santé mentale dont tous les discours de politique sanitaire nous rabâchent les oreilles et qui se réfère à la définition de la santé selon l’O.M.S. à savoir que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité3 », soit un impératif impossible.
« La santé mentale n’a pas d’autre définition que celle de l’ordre public4 » affirme d’emblée Jacques-Alain Miller lors d’une conférence à Séville en 1988. En effet, il ne faut pas perturber cet ordre, quel que soit le lieu et le lien, familial, professionnel, amical, etc. En quelque sorte, il s’agit d’être bien intégré dans la société.
Mais « se contenter d’établir l’équivalence entre santé mentale et ordre public n’est pas suffisant5 » dans la mesure où les travailleurs de la santé mentale sont différents de ceux de la police et de la justice, même si souvent, étant là pour en quelque sorte réintégrer les patients dans l’ordre public, ils se trouvent souvent accusés d’être proches dans leur objectif de ces deux autres catégories de travailleurs.
Des décisions politiques dans les vingt dernières années ne permettent plus de différencier ceux qui s’occupaient des irresponsables au titre de l’article 64 du code pénal de ceux qui étaient reconnus responsables de leurs actes par la justice. Où situer les psychanalystes ?
Il est nécessaire d’abord de préciser ce que signifie l’irresponsabilité. Jacques-Alain Miller y répond en ces termes : « Elle signifie que les autres ont le droit de décider pour quelqu’un, que ce sujet n’est plus un sujet de plein droit6 ». Il s’agit d’un sujet qui est dans l’impossibilité de répondre de ses actes. Mais est-ce ce sujet qui nous intéresse, nous psychanalystes, dans la mesure où il s’agit de « savoir si la maladie mentale conduit à suspendre le sujet de droit. »
De toute façon, le « psychanalyste ne peut ni promettre ni donner la santé mentale7 » et de ce fait il n’est pas un travailleur de la santé mentale. Cependant, et cela peut sembler paradoxal, la psychanalyse s’adresse à des sujets prêts à répondre de ce qu’ils pensent, disent et font, donc à des sujets de plein droit. Il s’agit ici du sujet défini comme une réponse, « le sujet de droit pris sur le versant de la réponse, c’est le sujet de l’énonciation », à savoir un sujet qui peut prendre de la distance avec ce qu’il énonce, et qu’il « est capable de juger de ce qu’il dit et de ce qu’il fait. […] C’est le sujet qui répond de son énoncé, ce pourquoi il lui est nécessaire de ne pas se confondre avec lui. »
A partir de toutes ces notions, il est possible de mettre en avant le concept freudien de sentiment de culpabilité, le « Je me sens responsable de je ne sais quoi8 », élément capital pour Jacques-Alain Miller, dans la mesure où il est l’objectif des entretiens préliminaires et donc un préalable à la pratique analytique dans la mesure où le sujet est prêt à répondre de cela. La rectification subjective dans l’analyse de Dora par Freud en est un exemple. Et c’est pourquoi il est conseillé de ne pas accepter les canailles – ceux qui ont des excuses pour tout - dans l’expérience analytique.
« Le sujet de l’inconscient est toujours un accusé, et c’est pour le démontrer que Freud a inventé l’inconscient9. » Mais c’est aussi pour cela qu’il a inventé la pulsion lorsque nous sommes poussés à certains comportements, qu’on ne peut pas ne pas effectuer. Pour Lacan, la pulsion est acéphale, et « il y a comme une suspension du sujet de droit10. » La défense fait connexion entre pulsion et surmoi, défense possible contre le désir mais on ne peut se défendre de la pulsion.
« Seul un sujet de droit, un sujet qui peut dire j’ai le droit à, peut avoir un sentiment de culpabilité11. » Cela implique le droit de parler, donc un état de droit, mais également le droit de revendiquer que le sentiment de culpabilité favorise, revendication liée à la castration dans la mesure où le sujet peut dire qu’il a droit à. Jacques-Alain Miller compare l’analysant à un sujet qui a un chèque au porteur qu’il pense avoir le droit d’encaisser. Mais le sujet de la castration va découvrir qu’il lui est impossible de l’encaisser. Cependant il encaisse : « Tu dois encaisser se traduit en termes de jouissance […]. Ce qui se découvre, c’est qu’en présentant le chèque, on en jouit déjà suffisamment – on en jouit avec de mots12. »
Mais qu’en est-il du mental ?
Chez le vivant, il y a du mental dès qu’il y a appareil sensoriel, ce qui fait que le mental n’est pas réservé aux seuls humains, mais il est un organe indispensable pour vivre dans son milieu et en conséquence l’organisme va au-delà des limites du corps individuel. « L’organisme est l’organisme propre, avec le côté mental et physique, plus son monde. » Même à l’animal, il faut une réalité et c’est entre le réel et la réalité que s’interpose le mental qui lui permet une adéquation entre l’Innenwelt et l’Umwelt.
Mais chez l’être humain, rien de naturel du fait du langage qui perturbe cette adéquation, son abord du monde par le social. Pas d’harmonie pour les humains ! Depuis toujours la maladie mentale est en nous. « L’homme est un animal malade13. » Mais qu’est-ce qui s’oppose à une harmonie possible ? C’est l’inconscient, des pensées inconscientes, disait Freud. En plus du physique, il y a l’inconscient, qui n’est pas du mental.
La définition de la santé de l’OMS, et en particulier de la santé mentale, relève donc d’un impératif surmoïque, « une formule du surmoi moderne14 », qui sournoisement s’institue à force d’hygiénisme, de transparence, d’urgence sanitaire, d’éducation thérapeutique, et où le maître dit toujours œuvrer pour le bien et la santé de tous.
Il faut entendre, comme le fait Pascale Simonet, le cri de Mia, l’héroïne du roman Corpus delicti, Ein Prozess, de Juli Zeh : « Je retire toute confiance à une normalité qui se définit elle-même comme la santé. […] Je retire toute confiance à une Méthode qui croit à l’ADN d’un homme plutôt qu’à ses paroles. Je retire toute confiance au bien-être collectif, parce qu’il considère les choix personnels comme un poste de dépenses inacceptable. […] Je retire toute confiance à un amour qui se considère comme le produit d’un processus d’optimisation immunologique. Je retire toute confiance à des parents pour qui une cabane dans un arbre n’est qu’un « risque de chute » et un animal domestique un « risque de contamination ». Je retire toute confiance à un Etat qui sait mieux que moi ce qui est bon pour moi.15. » Dans cette fiction, du fait que Mia objecte à la santé comme principe de légitimation politique, elle sera soumise à une prise en charge psychologique dans un établissement de resocialisation. Et P. Simonet arrive à cette conclusion : « La santé mentale n’est bel et bien qu’une nouvelle religion ségrégative prétendant nous gouverner de façon toujours plus exigeante et plus prégnante. »

Le mental et la débilité


Mais une question se pose cependant. Si, comme l’affirme Jacques-Alain Miller, « la différence entre le réel et la réalité, c’est l’interposition du mental », n’est-ce pas là que nous mettons le fantasme, fantasme qui recouvre le réel et à travers la fenêtre duquel nous percevons la réalité. Ce point serait alors en contradiction avec le reste de son intervention où il précise que « Il y a quelque chose qui n’est pas mental, même s’il le paraît. C’est la pensée nommée par Freud l’inconscient. »
Alors l’inconscient, mental ou pas ?

Lorsque Jacques-Alain Miller abordera la fin de l’enseignement de Lacan, ces différents éléments vont se préciser. Nous allons en aborder quelques points.

Et tout d’abord dans son séminaire « Le lieu et le lien » où, point capital, désormais la jouissance, qui est de l’ordre du réel, ex-siste au sens, le réel est exclu du sens. Ce qui a pour conséquence un ravalement de la pensée. Pourquoi ?
Lacan, dans son retour à Freud avait insisté sur l’inconscient, c’est des pensées, donc du registre du symbolique. « Il n’y a jamais eu d’autre pensée que symbolique16 », écrira-t-il en 1966. Ce qui fait que Lacan peut considérer « que le fait même de la pensée anticipe la science, parce que déjà la pensée c’est du symbolique présent dans le réel17 ». Mais à présent, dans son dernier enseignement, la pensée ce n’est plus qu’un imaginaire sur le symbolique, du symboliquement imaginaire, à savoir qu’il y a sens quand l’usage du symbolique est dominé par l’imaginaire18.







Une autre conséquence s’en suit : Lacan abandonne la géométrie euclidienne pour celle des nœuds, nœuds qu’il faut manier, géométrie qui a un corps.
Désormais, nous dit Jacques-Alain Miller, Lacan met « la pensée à rien de plus qu’au niveau d’un rapport difficile du corps et du symbolique, ce rapport difficile qu’il appelle le mental. Et non seulement il met la pensée au niveau du mental, mais il met l’inconscient aussi à ce niveau. » L’inconscient est donc mis au niveau du mental. Il en résulte une nouvelle définition de l’inconscient : « l’inconscient est une maladie mentale » et plus précisément l’inconscient est mis « au niveau de la débilité qui affecte ce mental. » Nous ne sommes plus à l’époque du sujet du signifiant, du symbolique qui prédomine sur l’imaginaire et le réel, du symptôme comme métaphore, mais à celle du parlêtre, à savoir qu’on a affaire avec le corps parlant, avec le réel et qu’il s’agit de savoir faire avec le symptôme par exemple. C’est radicalement nouveau et donc nous assistons à ce que Lacan propose de nouvelles catégories, plus radicales, comme celles que nous avons abordées lors des Préliminaires n°3.
La débilité mentale est un de ces nouveaux concepts, plus radical que l’inconscient freudien et qui « veut dire que le parlêtre est frappé de dysharmonie avec le symbolique, le réel et l’imaginaire. » La dysharmonie, Lacan l’a toujours évoquée, par exemple dans le décalage entre demande et désir, mais surtout le non-rapport sexuel. A présent, il les range tous dans cette débilité mentale.
Alors s’il accordait du mental aux animaux, il ne parle pas de débilité pour eux car eux se retrouvent dans leur monde alors que notre mental ne nous met pas en rapport avec le réel.
Cela a des conséquences. Si Lacan a pu dire que le langage est une élucubration de savoir sur lalangue, Jacques-Alain Miller en va à dire que « l’inconscient freudien est une élucubration de savoir sur la débilité mentale. »
Il s’agit donc de nous ramener au plus proche de l’expérience, de l’inconscient ramené à la bévue, à nos élucubrations sur les données immédiates : « Donc, un retour non pas à Freud, mais au contraire un dénouement d’avec Freud, pour faire retour aux données immédiates d’où on peut percevoir comment Freud en est venu à transformer la débilité en inconscient. »

La dysharmonie a rapport au ratage. Et ce ratage est évident lorsqu’on essaye de regarder de plus près le rapport de la pensée au corps. « Penser est toujours penser le corps en tant qu’il jouit, et, par le seul fait que le corps jouit, la pensée rate. […] La jouissance est du corps comme le ratage est de la pensée19. » Or, de quoi parle-t-on en analyse ? De ce qui rate et le ratage est avant tout sexuel. L’inconscient freudien, les pensées inconscientes, ont rapport avec le corps, avec sa sexuation. « Dans ce qu’on pense, on répond toujours à la sexualité et que la réponse qu’on donne est toujours symptomatique. Toujours veut dire qu’on n’en sort pas20. » Le ratage de la pensée est ce que Lacan nomme la débilité.

Il s’agit ici de bien opposer différents éléments. Tout d’abord l’inconscient freudien, l’inconscient structuré comme un langage, l’inconscient transférentiel à opposer à l’inconscient réel. Et donc opposition du semblant et du réel. Mais également du langage à opposer à lalangue. La dysharmonie est originelle car lalangue n’est jamais harmonique et cette dysharmonie ne peut donc être « pansée21 ». Et enfin d’opposer symptôme et sinthome dans la mesure où le sinthome « désigne ce qui du symptôme est rebelle à l’inconscient, ce qui du symptôme ne représente pas le sujet, ce qui du symptôme ne se prête à aucun effet de sens qui délivrerait une révélation22. »
Pour Lacan, l’expérience analytique doit pouvoir s’approcher du réel, ou du moins tenter de le cerner, et ce n’est guère possible par les sens (la phénoménologie en opposition au noumène) ni par l’imaginaire. La débilité de l’être parlant est de voiler par l’ego le trou corporel et par la quête éperdue de sens l’impossible du rapport sexuel.

La débilité, le délire et la duperie


Nous sommes donc en présence de l’imaginaire du corps et de l’imaginaire du sens : c’est cela le mental.
Au début, le symbolique prédominait sur le réel et l’imaginaire ce qui avait des conséquences cliniques : c’était en fonction d’un signifiant particulier, celui du Nom-du-Père, que la clinique était ordonnée. Mais à présent le symbolique, plus précisément le système des semblants (mixte d’imaginaire et de symbolique) est subordonné au réel, ce qui à son tour a une incidence tout à fait capitale, à savoir une égalité clinique entre les corps parlants.

« Les parlêtres sont condamnés à la débilité mentale par le mental même23 » nous dit Jacques-Alain Miller, lors de sa conférence de clôture du IXe Congrès de l’AMP, le 17 avril 2014 à Paris. Et il ajoute : « Le symbolique imprime dans le corps imaginaire des représentations sémantiques que le corps parlant tisse et délie. C’est en quoi sa débilité voue le corps parlant comme tel au délire. On se demande comment quelqu’un qui a été analysé pourrait encore s’imaginer être normal. »
Comment conçoit-il le délire ? Il est nécessaire de se reporter alors au commentaire que Jacques-Alain Miller a fait lors des séances du 4 et 11 juin 2008 de son séminaire à propos d’un texte de Lacan du 22 octobre 1978 paru dans le bulletin du Champ freudien Ornicar ? Lacan y écrivait « Comment faire pour enseigner ce qui ne s’enseigne pas ? Voilà ce dans quoi Freud a cheminé. Il a considéré que rien n’est que rêve, et que tout le monde (si l’on peut une pareille expression), tout le monde est fou c’est-à-dire délirant24. »
Cette phrase indique ce avec quoi Lacan était aux prises à la toute fin de son enseignement et constitue l’ultime boussole lacanienne au moment où plus rien n’est ordonné comme cela pouvait l’être à l’époque de la grande route du Nom-du-Père.
Il y a deux aspects dans la phrase de Lacan, le rêve et le délire.

En ce qui concerne le rêve, « Ce que Lacan a déchiffré, c’est la généralisation du rêve, c’est-à-dire : on rêve toujours25. » Plus précisément, on rêve tout le temps et on ne se réveille que pour continuer à rêver. Le cauchemar constitue cette chance de rencontrer le réel dans le rêve et il nous rejette dans la réalité pour nous faire oublier le réel rencontré.

En ce qui concerne la folie, « Cette folie générique est générale, universelle plutôt, ça n’est pas la psychose.[…] le délire, au fond, commence déjà avec le savoir. Le délire commence quand à un signifiant tout seul, vous ajoutez l’articulation à un second, par quoi le tout seul devient un. Et à ce moment-là, l’effet de signification qui se produit – je l’écris petit s – est équivalent à d1, est équivalent à délire et c’est ainsi que c’est entendu dans son texte. »






Et Jacques-Alain Miller de poursuivre ainsi : « ce qu’on appelle un délire, c’est un paravent. C’est susceptible d’être soufflé, c’est susceptible de tomber, ce paravent, si on touche au réel de la bonne façon. »
Finalement, le rêve, le fantasme, le délire, la folie, le symptôme, « tous ces termes se collapsent pour donner cet enfermement de chacun dans son monde. » Un monde commun est impossible et chacun s’arrange singulièrement avec son symptôme pour tenter de cheminer avec les autres.
Mais ce « tout le monde est fou » avait déjà été énoncé par Erasme, dès 1511, donc bien avant Lacan, dans son Eloge de la folie, et c’est pourquoi « C’est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous » figure dans l’affiche du Colloque à venir.

Le séminaire qui a marqué un tournant dans l’enseignement de Lacan est « Encore ». Il a été suivi par « Les-non-dupes errent ». Ce titre, à lui seul, indique une voie : il s’agit de se faire dupe d’un réel pour s’orienter. Cela consisterait en quoi ? « Monter un discours où les semblants coincent un réel, un réel auquel croire sans y adhérer, un réel qui n’a pas de sens, indifférent au sens, et qui ne peut être autre que ce qu’il est26. »
Analyser revient à « diriger un délire de manière à ce que sa débilité cède à la duperie du réel27. »
Que devient alors l’interprétation ? Elle était construction pour Freud, une élucubration de savoir et l’interprétation visait à obtenir un effet de vérité à partir d’un symbolique qui serait inclus dans l’imaginaire (imaginairement symbolique). A présent il s’agit d’un « dire qui vise le corps parlant et pour y produire un événement », et dont l’effet ne peut se calculer. « Tout ce que l’analyse peut faire, c’est s’accorder à la pulsation du corps parlant pour s’insinuer dans le symptôme. […] Quand on analyse le parlêtre, le corps parlant, le sens de l’interprétation, c’est la jouissance. » La pratique analytique s’est déplacée de la vérité à la jouissance.

Jean-Louis Woerlé

Notes :
1 Miller J.-A., « Déficit ou faille », La Cause du désir, n°98, Paris, Navarin, mars 2018, p. 122-128.
2 Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », Ornicar ?, n°10, Paris, Lyse, juillet 1977, p. 13-24 et La Conversation d’Arcachon, Paris, Agalma-Seuil, 1997, p. 285-304.
3 Cf, site de l’Organisation mondiale de la santé
4 Miller J.-A., « Santé mentale et ordre public », Mental, n°3, Bruxelles, EEP, janvier 1997, p. 15.
5 Ibid, p. 16.
6 Ibid, p. 17.
7 Ibid, p. 18.
8 Ibid, p. 19.
9 Ibid, p. 20.
10 Ibid, p. 21.
11 Ibid, p. 22.
12 Ibid, p. 24.
13 Ibid, p. 26.
14 Ibid, p. 24.
15 Cf, Simonet P., « L’ADN contre la parole », Quarto, n° 99, Bruxelles, ECF-ACF en Belgique, juin 2011, p82-83.
16 Lacan J., « D’un syllabaire après coup », Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 724.
17 Miller J.-A., Le séminaire d’orientation lacanienne « Le lieu et le lien », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, séance du 6 juin 2001, inédit.
18 Cf, Miller J.-A., Le séminaire d’orientation lacanienne « Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, séance du 28 mars 2007, inédit.
19 Miller J.-A., « Pièces détachées », La Cause freudienne, n°61, Paris, Navarin, novembre 2005, p. 133.
20 Ibid, p. 136.
21 Ibid, p. 135.
22 Ibid, p. 150.
23 Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, Paris, Navarin, 2014, p. 113.
24 « LACAN pour Vincennes ! », Ornicar ? n°17-18, Paris, Lyse-Seuil, printemps 1979, p. 278.
25 Miller J.-A., Le séminaire d’orientation lacanienne « Nullibiété – Tout le monde est fou », enseignement prononcé dans le cadre du Département de psychanalyse de Paris VIII, séances du 11 juin 2008, inédit.
26 Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », op.cit., p. 113.
27 Ibid, p. 114.


Dans l’après-coup du colloque, Marie Izard, membre de l’ACF en Normandie et Isabelle Izard Blanchard rendent compte de cette journée de travail.

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