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Publié le lundi 8 avril 2024

Université populaire Jacques-Lacan – Colloque UFORCA

Les diagnostics dans la pratique

Samedi 15 juin 2024 - 10h-18h - Paris

« Ce qui relève de la m^me structure n’a pas forcément le même sens. »
Jacques Lacan, Autres écrits, p 557

L’Université populaire Jacques-Lacan (UPJL) organise le Colloque Uforca

Les diagnostics dans la pratique



Présentation du colloque


En psychanalyse, deux boussoles cohabitent en matière de diagnostic. D’une part, une clinique discontinuiste, fondée sur une classification structurale, et, d’autre part, une clinique continuiste, dite borroméenne, qui élabore, pour chaque sujet, des diagnostics sur mesure et fait équivaloir symptôme et diagnostic. La première se réfère à des catégories universelles, la seconde tend vers le symptôme en tant qu’il est la manifestation la plus singulière du sujet.

La clinique continuiste, celle du nœud, émane, certes, de la fin de l’enseignement de Lacan, mais ne supprime en rien la clinique discontinuiste de Freud et du premier Lacan. Ainsi, les trois structures de base–névrose, psychose et perversion–et leurs sous-catégories restent toujours en vigueur lors de nos échanges. Même quand elles ne sont pas nommées comme telles, elles sont sous-entendues. Au départ de la rencontre avec un sujet, il est quasiment impossible de penser le à-qui-ai-je-affaire sans en passer par une classification.

L’héritage de la psychiatrie

La psychanalyse a puisé ses classifications chez les maîtres de la psychiatrie du XIXe siècle et du début du XXe, notamment allemands et français. Ces classifications sont souvent accompagnées d’observations d’une grande finesse clinique1. Ainsi, parlant des rapports que Clérambault rédigeait chaque jour par dizaine, Paul Guiraud, qui a préfacé son Œuvre psychiatrique, les qualifie de « certificat[s]sur mesures », « œuvre[s]d’art autant que de science2 ». En une ou deux pages, Clérambault épousait « sans lacune et sans défaut la personnalité du malade ; il ne reculait pas devant le néologisme qui était toujours de filiation authentique. On peut dire qu’il a presque créé une école littéraire qui devrait être celle de toutes les administrations ».

En effet, les « certificats » de Clérambault donnent à la personne décrite une consistance vivante. Il ne s’agit pas seulement d’un tableau clinique, mais d’une présence, d’une épaisseur de corps, nourrie à l’occasion par des citations du patient. Ainsi, croit-on entendre la voix d’Amélie, lingère dans une maison religieuse, décrivant l’étrangeté de l’automatisme mental qui la parasite : « Quand on dit “on”, dit-elle, on a l’air de parler de deux personnes. […] Il y a quelque chose qui parle quand il veut, et qui arrête quand il ne parle plus3 ». Plus loin, il note que l’« érotisme [de la patiente]se manifeste par[…]des sourires et des rougeurs prolongés », ou encore qu’elle « commence et arrête des gestes impulsifs. Elle dit tout haut ce qu’elle suppose que nous pensons4 ». Plutôt qu’une structure appartenant à une classe, Clérambault donne corps au personnage et décrit, dans leurs singularités, les phénomènes psychotiques dont celui-ci souffre. Or, quand il note, de façon laconique, par rapport à ce sujet : « En résumé : Automatisme. Érotisme. Mysticisme. Mégalomanie », ces mots relèvent d’une classification universelle. Dès lors, il nous enseigne que l’usage d’une classification préétablie ne nous empêche pas de décrire le phénomène dans ce qu’il a de plus singulier.

Un diagnostic sous transfert

Par ailleurs, on trouve dans le même certificat la démonstration que toute décision diagnostique se fait dans la rencontre avec le sujet, c’est-à-dire sous transfert. Il n’y a pas d’objectivité du diagnostic, car le clinicien y met sa part. On se croit présent à l’examen clinique quand on lit sous sa plume : « Une moitié d’elle se fatigant, à la fin de l’interrogatoire, et lui inspirant de ne pas répondre ; l’autre moitié, qui nous est favorable, s’irrite, et à haute voix elle rebuffe l’autre : “ On veut répondre, laissez, on attendra bien un peu.” » Cette remarque, qui rend compte des conditions de la rencontre avec la patiente, montre bien que la présence du clinicien ne peut pas être défalquée du diagnostic posé. Cette pratique, qui prend en compte le transfert dans la détermination du diagnostic, correspond tout à fait à l’éthique de la psychanalyse.

Et l’APA créa le DSM-III

À l’époque où cette psychiatrie était à son apogée, la psychanalyse participa de façon dialectique aux débats sur la nomenclature psychiatrique. Ainsi, Freud, Jung et Bleuler se sont prononcés sur la schizophrénie avant que celle-ci ne prenne le pas sur la démence précoce et la paraphrénie pour désigner une pathologie d’un pôle opposé à la paranoïa sur l’axe de la psychose. Freud a d’ailleurs plutôt opté pour la paraphrénie5.

Lors de la création du DSM dans les années cinquante par l’Association américaine de psychiatrie (APA), le lien entre la psychiatrie et la psychanalyse était maintenu. La névrose et la psychose furent reconnues comme deux structures majeures. C’est l’apparition du DSM-III en 1980 qui a métamorphosé ce manuel pour le faire coïncider avec les théories comportementalistes et cognitivistes ainsi que les avancées de la psychopharmacologie et, plus récemment, des neurosciences. L’ambition déclarée de ce manuel d’être athéorique signifie surtout qu’il prend soin d’écarter la psychanalyse de ses références. La distinction entre névrose et psychose disparaît alors du manuel au profit d’une liste toujours plus longue de troubles répertoriés. Mais cette ambition exempte le clinicien de toute nécessité d’acquérir un savoir clinique, au profit d’une mesure statistique des traits observés chez le patient à la lumière de quelques critères qui se veulent universels. Une fois les cases cochées, le diagnostic en découle automatiquement, sans aucun devoir de discernement de la part du clinicien6. Par le truchement du résultat de ces mesures, le patient, ainsi transformé en objet, est censé livrer son diagnostic. Or, un objet ne livre rien, puisqu’il ne parle pas.

Aujourd’hui, aucun dialogue entre les deux disciplines concernant la nomenclature n’est envisageable. Jacques-Alain Miller souligne que lorsque la notion de paranoïa est évoquée dans une discussion avec des psychiatres, les malentendus sont au rendez-vous, car ce concept a une tout autre valeur et un tout autre usage dans chacune de ces disciplines7.L’abîme est trop grand entre, d’une part, un diagnostic qui prend en compte la structure du sujet ou le nouage borroméen qui le tient, et, d’autre part, un diagnostic qui répertorie des conduites et des signes pour en faire une statistique.

Les bonnes intentions du PDM

En 2006, l’Association psychanalytique internationale (IPA)tente de remédier à cet appauvrissement de la clinique en créant, avec d’autres associations, un nouveau manuel, le Psychodynamic Diagnostic Manual (PDM), réintroduisant les notions psychanalytiques dans la nomenclature de la santé mentale. Dans l’introduction à la seconde édition de ce manuel–le PDM-2, publié en 2017–, les rédacteurs notent que le DSM-III a transformé la taxinomie des DSM-I et DSM-II, influencée par la psychanalyse, en un système diagnostique « néo-kraepelinien8 ». L’objectif du PDM est celui de restaurer la place de la psychanalyse, arguant que la force et la pertinence des approches psychanalytiques en matière de diagnostic sont prouvées empiriquement par une recherche scientifique minutieuse.

Les rédacteurs de ce document critiquent le caractère monosymptomatique du DSM ainsi que sa tendance à trop simplifier les phénomènes mentaux afin de pouvoir les évaluer et leur donner une apparence scientifique. On ne peut qu’être d’accord avec eux quand ils notent que, dans le système du DSM, la personne dans sa globalité est moins visible que les constructions de troubles sur lesquels les chercheurs peuvent se mettre d’accord. D’autres de leurs formulations obtiennent facilement notre adhésion : ils promeuvent notamment une articulation entre une compréhension nomothétique et un savoir idiographique par rapport à l’individu ; autrement dit, une combinaison entre une approche universelle de l’individu et une considération de ce qui est chez lui le plus singulier. Ils disent aspirer à une « taxinomie des personnes » plutôt qu’à une « taxinomie des troubles9 ».

L’Autre barré du diagnostic

Si l’effort du PDM de redonner place à la psychanalyse est louable, la volonté de se compromettre avec le champ des neurosciences et de réduire à tout prix l’écart entre le scientisme du chiffre et la recherche analytique affaiblit cette démarche. Le PDM est fondé sur la croyance selon laquelle le système de classes constitue un Autre consistant et absolu. L’individu est alors un référent, un exemplaire, correspondant à une classe. À l’opposé, nous estimons que les « classes ne sont fondées ni en nature, ni en structure, ni en réel10 ». Au-delà de l’individu, nous repérons le sujet, non pas en tant qu’il correspond à la classe, mais en tant qu’il y résiste, qu’il s’en disjoint. Là où l’individu ne correspond pas à une classe, il devient sujet11. C’est ainsi que nous comprenons l’indication suivante de Lacan : « Les sujets d’un type sont donc sans utilité pour les autres du même type. Et il concevable qu’un obsessionnel ne puisse donner le moindre sens au discours d’un autre obsessionnel12. »

En psychanalyse, l’Autre du diagnostic est un Autre manquant, un Autre barré. C’est pourquoi, lors des présentations de malade, Lacan laisse en suspens les questions qui lui sont adressées concernant le diagnostic afin de laisser une place vide13. Cette place vide ouvre l’espace de la conversation sur le diagnostic telle qu’elle se pratique dans nos colloques. Les diagnostics dans la pratique se construisent dans l’échange entre cliniciens autour d’un cas. Si ces échanges virent à l’occasion à la querelle, c’est que la question du diagnostic comporte une certaine sensibilité. Elle convoque le clinicien en un point où il expose non seulement ses connaissances en nomenclature, mais aussi ses capacités de discernement et de prise de décision. Juger et décider sont en effet deux dimensions requises pour pouvoir se prononcer sur un diagnostic14. Par ailleurs, la nomination de la pathologie nous confronte à la folie que l’homme comme tel porte en lui15. Nommer la folie de l’autre nous renvoie inéluctablement à celle qui nous est propre. Par conséquent, la subjectivité du clinicien joue un rôle majeur dans le jugement qu’il porte sur la structure dudit patient. De là, la nécessité de nos colloques et aussi du contrôle permanent.

Le diagnostic à l’ère de la dépathologisation

Pour finir, la taxinomie qui sert au diagnostic, quelle qu’elle soit, est un système symbolique qui s’applique au réel de la clinique. Comme tel, il est nécessairement perméable aux discours contemporains et il se modifie en fonction des événements qui ont lieu dans l’Autre. Quel est le destin des diagnostics en psychanalyse après la chute du père ? J.-A. Miller proposa, un temps, le terme de néo-psychose pour finalement plutôt retenir celui de psychose ordinaire16. Peut-on parler aujourd’hui de « néo-névrose17 » ?

Avec la clinique des nœuds, Lacan nous a muni de l’outil le plus adéquat pour aborder l’ère de la dépathologisation18. Car la clinique des nœuds permet d’admettre aussi bien l’aphorisme lacanien Tout le monde est fou19 que son équivalent, Tout le monde est normal. Elle cherche à saisir comment, pour tel cas, qu’on le dise fou ou normal, se nouent quelques éléments disparates pour créer un nœud qui ne se défasse pas : l’angoisse et les douleurs de l’existence constituent le réel du sujet ; les récits conscient et inconscient qu’il profère relèvent du symbolique ; le corps et ses images, de l’imaginaire. Quel est le symptôme qui noue ensemble ces registres pour faire tenir le sujet dans l’existence ? Quels sont les défauts dans ce nouage qui sont à soumettre au traitement ?

Le 15 juin 2024, à 18h, nous serons sans doute un peu plus instruits concernant l’ensemble de ces questions.

Gil Caroz

Notes :
1 Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La clinique lacanienne », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 21 avril 1982, inédit.
2 Guiraud P., « Préface », in De Clérambault G., Œuvre psychiatrique, t.I,Paris, PUF, 1942, p.IX.
3 De Clérambault G., Œuvre psychiatrique, t.II, Paris, PUF, 1942, p.457.
4 Ibid., p.458.
5 Cf. Freud S., « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Dementia paranoides) (Le Président Schreber) », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 2003, p.319 & Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La clinique lacanienne », op.cit., leçon du 21 avril 1982.
6 Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La clinique lacanienne », op.cit. , leçon du 21 avril 1982.
7 Cf. Ibid.
8 Lingiardi V. & McWilliams N. (s/dir.), « Introduction », Psychodynamic Diagnostic Manuel. Second Edition. PDM-2, New York / Londres, The Guilford Press, 2017, p. 1, disponible sur internet.
9 Ibid., p.2.
10 Miller J.-A., « La signature des symptômes », La Cause du désir, no96, juin 2017, p.112, disponible sur Cairn.
11 Cf. Ibid., p.116.
12 Lacan J., « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.557.
13 Cf. Miller J.-A. « Enseignements de la présentation de malades », Ornicar ? , n°10, juillet 1977, p.14 & sq.


PROGRAMME



MATIN
Jacques-Alain Miller avec Carole Dewambrechies La Sagna

- 10h-11h : Pragmatique contemporaine des diagnostics
par Jean-Pierre Deffieux
Présentation : Valeria Sommer Dupont

- 11h-12h : Chacun à sa façon
par Ligia Gorini
Présentation : Daniel Roy

- 12h-13h : Déplacements sémantiques
par Gil Caroz
Présentation : Elise Etchamendy

Discutants : Anaëlle Lebovits Quenehen, Marie-Claude Sureau, Pierre Sidon


APRES-MIDI
Jacques-Alain Miller avec Carole Dewambrechies La Sagna

- 15h-16h : Un cas caméléon
par Laurent Dupont
Présentation : Hélène Bonnaud

- 16h-17h : Je ne suis pas ton père !
par Caroline Nissan
Présentation : Philippe Hellebois

- 17h-18h : Une psychose normâle
par Agnès Aflalo
Présentation : Jean-Pierre Denis

Discutants : Esthela Solano Suarez, Virginie Leblanc Roic, Dominique Holvoet


Samedi 15 juin, de 10h00 à 18h00
Accueil à partir de 9h

Maison de la Mutualité
24, rue Saint-Victor
75005 Paris
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Renseignements : envoyer un mail

Inscriptions :

- Inscription individuelle, tarif normal : 80 euros
- inscription individuelle, tarif étudiant : 40 euros
- Dans le cadre d’une inscription au titre d’une formation médicale continue ou permanente, un formulaire d’inscription (téléchargeable) doit être rempli et envoyé par courrier .

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