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Publié le jeudi 31 octobre 2019

Dans l’après-coup de l’après-midi du 12 octobre, « L’autisme, lieu de débats »

Autisme, les différentes modalités de prise en charge, entre convergence et opposition

Un texte de Lydie Lemercier-Gemptel

Le 12 octobre dernier, se déroulait à la Maison de la Psychanalyse, devant un public nombreux et attentif, le second après-midi de travail « L’autisme, lieu de débats », avec pour thème : « A la croisée des méthodes ».

Pour cette seconde rencontre1, un public nombreux, souvent hors de notre champ, est venu, attentif et désireux d’interroger les méthodes actuellement préconisées. En effet, la prise en charge de l’autisme est une question délicate, très discutée depuis plusieurs décennies en raison des théories qui sous-tendent les différentes approches. En France, mais surtout aux États-Unis, un consensus tend à régner visant un traitement le plus précoce possible, intense par le biais de méthodes comportementales. Pour compenser le « déficit social », selon un postulat qui conçoit l’autisme comme une « maladie » ou un « handicap », et tendre vers une certaine « normalisation » du comportement de l’enfant, trois cibles sont partagées par la plupart des méthodes : augmenter la socialisation, diminuer les comportements répétitifs et supprimer les comportements problématiques. Cette intervention précoce porte généralement sur des apprentissages décomposés, utilisant le renforcement. Elle est structurée, professionnalisée et « manualisée2 ». Ce sont essentiellement ces principes techniques qui font l’objet des recommandations des organismes officiels. Si la HAS3 aborde l’autisme comme une question de santé publique et encadre le « traitement », le soin se télescope à l’éducatif, se conjugue aux gestes de la vie quotidienne de l’enfant, un « droit à l’éducation » se retournant en prescription d’intervention précoce intensive4.

Les méthodes globales


Une des particularités des méthodes d’intervention précoce pour l’autisme, unique dans la pratique de soin contemporaine, est d’être diffusées et appliquées comme des méthodes globales (en anglais : packages ou comprehensive techniques). Il s’agit en effet d’un ensemble de pratiques « clef en main » qui visent à couvrir la plupart des situations d’apprentissage et des milieux de vie, et s’applique sur la majorité du temps de veille de l’enfant5. Citons-en quelques unes : les méthodes Lovaas, ABA ou TEACCH... La méthode Lovaas est la pratique globale la plus ancienne, très répandue dans les années 80-90 surtout aux États-Unis. Elle soutient que l’apprentissage est accéléré par l’utilisation systématique et intensive de récompense en cas de réussite d’une activité et/ou de punition en cas d’échec. Lovaas préconise 40 heures par semaine pendant plusieurs années, systématique, individuelle dans un environnement prédéterminé et isolé. De nombreux chercheurs sont réticents face à l’utilisation de cette méthode car au niveau des progrès réalisés, les acquis ne se maintiennent pas ou peu, ne prennent pas en compte les intérêts de l’enfant, ni sa motivation, ce qui favorise des apprentissages automatiques, des relations sociales artificielles, sans oublier la question éthique que soulève l’absence du consentement de l’enfant dans ce procédé. L’ABA-VB ou ABA-verbal est une pratique dérivée qui met l’accent sur l’apprentissage du langage et de la communication, la priorité étant que l’enfant acquière l’aptitude à demander ; elle n’utilise que la technique du renforcement positif. La méthode TEACCH quant à elle ne préconise pas de normaliser les comportements de l’enfant pour qu’il soit mieux adapté à son environnement mais d’adapter l’environnement aux particularités de l’enfant autiste en structurant et ritualisant les activités quotidiennes, en introduisant des indices visuels (images, photos, écriture), en structurant l’espace et le temps, en délimitant des espaces de travail et individuels afin de limiter les distractions éventuelles. D’autres approches dites développementales peuvent être préconisées, comme la méthode Denver, FLOOR-TIME mettant l’interaction et les relations avec l’enfant au centre de l’intervention par l’intermédiaire du jeu.

Laurent Mottron, professeur-chercheur au laboratoire de neurosciences cognitives et autisme de Montréal va marquer son désaccord face à la plupart des explications théorico-cliniques à propos de l’autisme. En effet, il prône l’autisme en tant que variant de l’humain et non comme une maladie ou un handicap. « Détecter les intérêts de l’enfant est une priorité, dit-il, et une des indications de sa possible intelligence6. » Aussi, l’enfant doit disposer de temps libre pour l’exploration de matériel non social, y compris pour les comportements apparemment répétitifs, en ayant accès aux claviers, tablettes, livres…, l’écrit étant préalable au verbal. « Au postulat que le traiter consiste à le rendre moins autiste, j’oppose plutôt que l’éduquer consiste à lui offrir un support pour qu’il contribue à sa façon à notre monde7. » Dans son livre, Autisme, quelle place pour la psychanalyse ?, Juan Pablo Lucchelli8 souligne, dans un tableau comparatif, les convergences et divergences entre l’approche de L. Mottron et celle de J.-C. Maleval notamment autour de l’angoisse. En effet, si pour L. Mottron, l’angoisse est engendrée par un manque d’information, pour J.-C. Maleval, les moyens pour la contrer sont d’un autre ordre que l’amélioration du cognitif mais du côté d’un travail autour de l’imaginarisation de la perte, la construction d’un bord.

Les interventions focalisées


Elles s’appuient sur la socialisation et s’intègrent à d’autres thérapies centrées sur l’échange et le développement cognitif, affectif et émotionnel. Laureen Fromentin et Aurélie Brillet, éducatrices en hôpital de jour, nous ont ainsi présenté le PECS, système de communication par échanges d’images, mis au point aux USA par Frost et Bondy (1994) pour suppléer ou augmenter la communication des jeunes enfants pré-scolaire avec troubles autistiques. « Plus qu’une méthode, il s’agit en fait d’un véritable programme progressif de communication9 » où le repérage préalable des « intérêts restreints » est essentiel car constituant un « renforçateur » pour aider l’enfant à se saisir des images pour adresser sa demande là où le verbal est impossible ; c’est une source d’apaisement et de régulation dans les échanges comme l’exemple de Raphaël a pu le démontrer. La TED10, développée dans le service de psychothérapie des enfants du CHU de Tours, souvent mise en place dans les services de soins de notre région, ne cible pas le comportement et l’apprentissage mais le jeu, le « plaisir du social » à travers des séances ritualisées de 20 minutes11, dans une salle épurée avec miroir et tapis de sol, autour d’objets choisis par l’enfant. L’attention est portée sur la façon dont ce dernier les utilise, tout en privilégiant la synchronie entre l’adulte et l’enfant tandis qu’un second adulte observe. La disponibilité du soignant, les sollicitations calmes, la ritualisation des échanges sont autant de facteurs d’apaisement.

L'approche psychanalytique


La psychanalyse est profondément remise en cause dans la prise en charge de l’autisme. Faute d’apporter des « preuves scientifiques » appuyées sur des évaluations chiffrées et des séries statistiques, accusée de « culpabiliser les parents », elle est aujourd’hui déclarée « non-consensuelle ». Certes, ce sont parfois des techniques psychanalytiques inappropriées qui sont dénoncées avec pertinence par certains autistes de haut niveau (Gunilla Gerland, Josef Shovanec), souligne Jean-Claude Maleval dans sa lettre ouverte, en 2013, à Madame Touraine, ministre de la Santé, pour le retrait du 3e plan autisme12, mais « tous s’accordent, poursuit-il, sur l’importance majeure de prendre en compte leurs différences pour initier les acquisitions ». L’approche psychanalytique contemporaine de l’autisme met l’accent, en effet, sur les inventions du sujet autiste, en particulier celles construites à partir de son bord (objet autistique, double et îlot de compétence) et sur son « savoir implicite » pour lutter contre l’angoisse. Chaque autiste a une fixation ou une ritualisation, une obsession ou une passion, un intérêt spécifique ou une compétence, en somme, une particularité, une affinité. L’affinity therapy viendra nommer ce nouveau dans le traitement de l’autisme13. Salima Sakho, à travers sa pratique clinique en IME14, nous a présenté Poucette, fillette reçue pendant plusieurs années, errante ou collée à l’Autre, envahie par un trop de jouissance qu’elle s’efforce sans cesse de soustraire. Face à cette perte impossible à symboliser, comment « décompacter » son monde, introduire un battement, un écart inscrit dans le temps institutionnel, le temps de l’Autre ? Salima Sakho a parié sur le sujet, ne reculant pas devant le réel, ce « monstre » à accueillir, pour accompagner pas à pas Poucette dans son effort de construction d’un bord, où la pâte à modeler, les boîtes, les images de cartes de contes de fée, les livres, les agendas, la comédie musicale... seront autant de moyens pour lui permettre une solution sur mesure. La construction d’un mode de fonctionnement plus apaisé permettra à Poucette, dans un second temps, de mieux composer avec les changements proposés15. Marjorie Conseil, éducatrice en IME, nous a fait part de ses questions qu’implique l’inclusion scolaire à travers la mise en place de l’Unité école externalisée (CCL) quand ces singularités, inventions peinent à être prises en compte dans un milieu ordinaire. La situation d’Antoine nous a aidé a mieux saisir comment la présence des professionnels de l’IME permettra de lui garantir une certaine protection, une « mise à l’abri » des regards nécessaire pour que l’ inclusion au collège ne soit pas trop persécutrice.

Les moyens mis en œuvre


À ce souhait d’articuler les différentes approches dans la prise en charge de l’autisme, certains parlent « d’approche intégrative ». Les services de soins en France semblent s’orienter vers cette diversité au risque de contradictions, de tensions au sein des équipes, là où la boussole clinique souvent s’égare quant à l’orientation générale du travail... À cela s’ajoute le manque de moyens et d’effectifs dans des lieux de soins saturés qui ne peuvent faire face aux demandes. Le temps d’accueil dans les structures de soins est de plus en plus réduit au profit de prises en charge ambulatoires, un emploi du temps de l’enfant en mosaïque que la famille s’efforce au mieux de coordonner. De nouvelles fonctions apparaissent tel « l’intervenant pivot autisme » chargé de veiller à la mise en place et coordination des projets. Faute de place dans les hôpitaux de jour, dans les IME, de plus en plus d’enfants, hélas, se retrouvent sans solution d’accueil notamment lors de leur sortie de l’hôpital de jour. Dans ce contexte précarisé, dramatique, une nouvelle fonction est créée : le coordinateur du Pôle Compétence de prestations externalisées (PCPE). Il intervient sur notification de la MDPH et peut notamment proposer des consultations d’un éducateur à domicile (3 heures par semaine). C’est une des voies d’entrée possible pour cette nouvelle pratique mais pas seulement. Albane Roussel, éducatrice à domicile, est venue ainsi nous présenter son travail auprès de l’enfant et de sa famille. Elle prend en compte, avant tout, les choix culturels et éducatifs de chaque famille tout en l’aidant à nommer autrement les difficultés de l’enfant, à mieux prendre en compte les spécificités de son fonctionnement, ses moments d’angoisse, des solutions à inventer au un par un, en partenariat avec les institutions extérieures. Elle peut, en effet, être un relais possible, devant les démarches administratives de plus en plus lourdes et complexes, pour transmettre, soutenir, éclairer...

Si la HAS recommande les « bonnes pratiques », chacun tente de mettre en place un projet, coordonné plus ou moins à l’ensemble du dispositif de soin, invité ainsi à « bricoler » de façon de plus en plus solitaire. Les équipes d’accueil, de soins pour enfants et adultes autistes sont souvent en souffrance. L’analyse des pratiques professionnelles (APP) peut constituer une ouverture pour une autre écoute de l’autiste. La psychanalyse peut y trouver une place là où le sujet est ré-introduit tant du côté des autistes que des soignants... Bertrand Barcat nous a ainsi déplié, à travers l’exemple de Karine, résidente adulte dans une institution pour autistes dans laquelle les protocoles, les grilles d’observation, le principe de généralisation sont de rigueur – reflets d’un surmoi féroce –, le tact nécessaire pour, à partir de ce « pour tous » préalable, viser le singulier. « À s’orienter sur l’angoisse et sur le rapport que le résident entretient avec l’autre, l’APP, orientée par la psychanalyse, opère dans l’angle mort du comportementalisme. Il s’en déduit, conclut Bertrand Barcat, une diminution des passages à l’acte violents, un certain appétit et même de l’enthousiasme pour la clinique », signe du retour du vivant.

Il y a des méthodes, il y a des pratiques, il y a des rencontres... Encore faut-il qu’il y ait de l’analyste, des lieux de parole dans les institutions pour que le singulier de la rencontre puisse advenir...

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Résultats d'une étude comparative des méthodes


S’il y a abondance des publications sur les interventions , programmes ou prises en charge utilisées dans l’autisme, on note cependant un déséquilibre sur deux points d’importance primordiale :
– d’une part, le nombre plus élevé d’articles relatifs à la prise en charge de très jeunes enfants par rapport à ceux consacrés aux adolescents et surtout aux adultes, accentué du fait du consensus des chercheurs et des praticiens sur l’intérêt des prises en charge précoces, voire très précoces, conséquence de l’appartenance majoritaire des professionnels du domaine de l’enfance ;
– d’autre part, un grand nombre d’articles relatifs aux programmes comportementaux de type ABA ou ceux de stratégies qui en dérivent. Ces programmes comportementaux sont les premiers objets de recherche du fait de leur exigence méthodologique de protocolisation.
Aussi, du fait des méthodes randomisées retenus par la recherche médicale, il n’y a pas d’études sur l’effet des thérapies à référence psychanalytique donc pas de preuve statistique de leur efficacité. L’absence d’étude comparative ne permet pas d’affirmer que les programmes à référence comportementale sont les plus efficaces.
Les études comparatives sont également rendues difficiles pour des troubles aussi variés que ceux du spectre autistique.

La psychanalyse est du côté du un par un... « Un programme, pas sans le sujet » avance l’Antenne 110. À chacun d’en témoigner dans sa rencontre unique avec l’autiste ...

Lydie Lemercier Gemptel

Notes :
1 L’autisme, lieu de débats, seconde rencontre « À la croisée des méthodes », ACF-Normandie, Rouen, 12 octobre 2019.
2 Laurent Mottron, L’intervention précoce pour enfants autistes, nouveaux principes pour soutenir une autre intelligence, Margada, 2016, p. 73.
3 HAS : Haute Autorité de Santé
4 La France a été condamnée par le Conseil de l’Europe pour ne pas avoir respecté le droit des autistes à recevoir une éducation « en priorité dans les établissements de droit commun ».
5 Laurent Mottron, ibid., p. 64.
6 Laurent Motron, L’intervention précoce pour enfants autistes, Mardaga, 2016, p. 180.
7 Ibid., p. 77.
8 Juan Pablo Lucchelli, Autisme, quelle place pour la psychanalyse ?, Editions Michèle, Paris, 2018.
9 Chapelle, 2005. Cité dans le rapport du Centre de Ressources Autisme, Languedoc-Roussillon, « Interventions éducatives, pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l’autisme », Chef de projet : Dr Baghdadli, juin 2007.
10 La TED (Thérapie d’échange et de développement), mise au point par les travaux de Barthélemy, Hameury et Lelord (1995) et Barthélemy (2001), repose sur une conception neuro-développementale de l’autisme selon laquelle les troubles du comportement qui caractérisent cette pathologie seraient la conséquence d’une insuffisance modulatrice cérébrale.
11 Des séances de 20 minutes deux fois par semaine.
12 Jean-Claude Maleval, Lettre du 26 mai 2013, Lacan quotidien 330, 11 juin 2013.
13 Myriam Perrin, Introduction, Affinity therapy, nouvelles recherches sur l’autisme, PUR, 2015.
14 IME : Institut Médico-Educatif
15 Voir à ce sujet le document réalisé par l’Antenne 110 : B. Boudard, C. Detienne, C. Loones, G. Possoz, Questions de bonnes pratiques, spécificité de l’approche clinique de l’Antenne 110. Plusieurs axes de régulation sont nécessaires (cognitive, relationnelle, corporelle) pour introduire l’axe des changements que sont les apprentissages, la socialisation et l’élaboration. Cette pratique repose sur l’éthique du sujet, un respect absolu de sa singularité.

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