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Publié le samedi 23 octobre 2010

Cartels : les textes fondamentaux


« L’Acte de Fondation de l’Ecole freudienne de Paris », 21 juin 1964 (Extrait)
Jacques Lacan présente pour la première fois les principes du cartel.

« Ceux qui viendront dans cette Ecole s’engageront à remplir une tâche soumise à un contrôle interne et externe. Ils sont assurés en échange que rien ne sera épargné pour que tout ce qu’ils feront de valable, ait le retentissement qu’il mérite, et à la place qui conviendra. Pour l’exécution du travail, nous adopterons le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe. Chacun d’eux (nous avons un nom pour désigner ces groupes) se composera de trois personnes au moins, de cinq au plus, quatre est la juste mesure. PLUS UNE chargée de la sélection, de la discussion et de l’issue à réserver au travail de chacun. Après un certain temps de fonctionnement, les éléments d’un groupe se verront proposer de permuter dans un autre. La charge de direction ne constituera pas une chefferie dont le service rendu se capitaliserait pour l’accès à un grade supérieur, et nul n’aura à se tenir pour rétrogradé de rentrer dans le rang d’un travail de base. Pour la raison que toute entreprise personnelle remettra son auteur dans les conditions de critique et de contrôle où tout travail à poursuivre sera soumis dans l’Ecole. »

« D’écolage », 11 mars 1980 (Extrait)
Il s’agit d’un texte lu par Jacques Lacan à son séminaire.

« ... Je démarre la Cause freudienne – et restaure... l’organe de base repris de la fondation de l’Ecole, soit le cartel, dont, expérience faite, j’affine la formalisation.
Premièrement – Quatre se choisissent, pour poursuivre un travail qui doit avoir son produit. Je précise : produit propre à chacun, et non collectif.
Deuxièmement – La conjonction des quatre se fait autour d’un Plus-Un, qui, s’il est quelconque, doit être quelqu’un. A charge pour lui de veiller aux effets internes à l’entreprise, et d’en provoquer l’élaboration.
Troisièmement – Pour prévenir l’effet de colle, permutation doit se faire, au terme fixé d’un an, deux maximum.
Quatrièmement – Aucun progrès n’est à attendre, sinon d’une mise à ciel ouvert périodique des résultats comme des crises de travail. »

Le cartel au centre d’une école de psychanalyse, 1994
Jacques-Alain Miller prend la parole contre la banalisation et la désertion du cartel et pour maintenir son statut central de mode de travail dans l’Ecole de la Cause freudienne.

LE CARTEL DANS LE MONDE

J’ai choisi ce titre parce que je voulais exprimer, et tirer au clair une pensée qui me taraude depuis longtemps. Quelque chose me chiffonne dans le cartel dans le monde. C’est mon point de départ. II m’a conduit ailleurs que là où je pensais aller.

Un manque d’enthousiasme
En 1979, j’ai inventé avec Eric Laurent le Catalogue des Cartels. Aujourd’hui, il y a cinq Ecoles du Champ freudien, il y a cinq Catalogues, avec la même couverture, et les mêmes rubriques. C’est très bien. Mais
n’y a-t-il pas là beaucoup de formalisme ? Je sens, je crois sentir dans le monde – je peux me tromper, et certainement on me démentira, sinon d’ici, d’ailleurs – un certain manque d’enthousiasme pour le cartel. Je n’entends jamais des collègues d’ailleurs parler de leur cartel. Je ne vois pas de référence au travail en cartel. Je ne perçois pas d’émotion quand des collègues parlent du cartel.
C’est un fait que la tradition, ce n’est pas le cartel, c’est le cours magistral. En Argentine, où l’Université a été longtemps baîllonnée, où elle est longtemps restée archaïque dans ses méthodes, on a afflué auprès
de maîtres qui dispensaient leurs enseignements hors universités – des maîtres qui n’étaient pas maîtres par le diplôme, mais par le charisme. C’est ce qui a été transporté en Espagne, et au Brésil.
Le plus-un de cartel, qui est le leader fonctionnel d’un groupe minimal, ne sature pas la demande de charisme. Le plus-un est un leader, mais un leader modeste, un leader pauvre. L’agalma qui le supporte est non dense. II est faiblement investi. II est, si l’on peut dire, doté d’un charisme force 4, alors qu’en pays latin du moins, on veut, semble-t-il, un charisme d’ordre supérieur, l’investissement massif d’un plus-un qui soit aussi un orateur. L’exigence d’une médiation orale pour avoir accès à l’écrit est de structure, mais pour peu que l’écrit soit moins présent dans la formation, cette médiation devient une fin en elle-même, se convertit en une guidance imaginaire. Bref, j’ai souvent le sentiment, quand on évoque les cartels ailleurs, qu’il y entre quelque semblant, qu’il y a un forçage, que c’est un peu chiqué.
Disant cela, je ne vais pas me faire bien voir. Je ne vais pas me faire bien voir ailleurs. Avec ce que je vais dire maintenant, je ne vais pas me faire bien voir ici. Je provoque. C’est pour que l’on me réponde. A essayer, en tâtonnant, de réfléchir sur ce malaise à propos du cartel dans le monde, j’ai été conduit à faire retour aux origines du cartel – à faire aussi un retour sur ce que nous, ici, nous avons fait du cartel.

Aux origines du cartel
Le cartel, à la différence de la passe, est contemporain de la création de l’Ecole. Nous avons eu des Journées sur L’Ecole et l’expérience de la passe pendant la dissolution de l’Ecole freudienne de Paris, et, à l’ECF sur Le concept de l’Ecole et l’expérience de la passe – nous n’avons jamais eu de Journées sur L’Ecole et l’expérience du cartel. Néanmoins, du fait que le cartel est contemporain de la création de l’Ecole, on peut supposer qu’il est congruent avec le concept de l’Ecole, et se demander en quoi il l’est.
Deux remarques préliminaires :
La première porte sur l’actualité du petit groupe en 1964, au moment où Lacan créait sa première Ecole. A l’époque, l’idée du travail en petits groupes, de formation à partir du petit groupe, avait été mise à l’ordre du jour, à la Sorbonne, par les étudiants en Lettres, spécialement par leur syndicat – syndicat d’agitateurs, non de gestionnaires –, la F.G.E.L., la Fédération générale des Etudiants en Lettres, qui avait promu la nécessité de ce qu’ils appelaient des G.T.U., des groupes de travail universitaire, invitant les étudiants à travailler ensemble, sur une base égalitaire, sans les « profs » ou avec le moins de « profs » possible, manière de s’opposer au cours magistral, pratique tenue pour réactionnaire. II y avait dans cette
proposition comme les prodromes de Mai 1968. L’idée d’une formation en petits groupes au lieu du cours magistral, ou à côté du cours magistral, participait déjà du mouvement anti-autoritaire. Le pro-cartel est anti-autoritaire. On l’a vu en 1979-80, lors de la dissolution de l’EFP qui commença par un renouveau de l’intérêt pour les cartels.
Ma seconde remarque est que le cartel incarne une thèse de la théorie des groupes – à un groupe, il faut un leader, tout groupe a un leader. Cette thèse peut s’inscrire selon les formules de la sexuation mâle, de la même façon que la passe répondrait plutôt aux formules de la sexuation masculine. L idée de Lacan avec le cartel est à la fois que rien ne sert de nier le fait du leader mais qu’on peut l’amincir au lieu de le gonfler, le réduire au minimum, en faire une fonction, permutative qui plus est.

Le travail de l’Ecole
C’est alors que j’ai repris la phrase de Lacan qui introduit le cartel dans son Acte de fondation – « Pour l’exécution du travail, nous adopterons le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe ».
Commentaire : Le cartel, qui est ce petit groupe, est un moyen pour exécuter un travail. Ce n’est pas une fin en soi-même. Oui, mais ce n’est pas non plus exactement un moyen. Lacan dit plutôt que c’est le moyen, et non pas pour exécuter un travail, mais pour exécuter le travail. Le moyen pour exécuter le travail – avec l’artide défini. Cette phrase, si on s’y arrête, dit que le travail de l’Ecole passe par le cartel. On pourrait exécuter un travail de cet ordre dans des séminaires, des cours, des conférences, des
Journées d’études. Justement, Lacan ne dit pas : « Pour l’exécution du travail, nous adopterons le principe d’une élaboration soutenue dans des séminaires, des cours, des conférences, des Journées d’études. » II dit : « Nous adopterons le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe. »
Le travail. Quel travail ? Dans l’Acte de fondation de Lacan, le mot travail est plusieurs fois répété. On le trouve au second paragraphe, au troisième paragraphe. Au quatrième paragraphe, l’auteur parle de tâche, au cinquième de l’exécution du travail, etc. II termine sur les travailleurs décidés. L’Acte de fondation est sous l’égide du travail. Mais qu’est-ce que Lacan appelle le travail de l’Ecole ? C’est un travail « qui, dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité – qui ramène la praxis originale qu’il a instituée [...] dans le devoir qui lui revient en notre monde – qui, par une critique assidue, y dénonce les déviations et les compromissions... » Autrement dit, l’exigence éthique, épistémologique, aléthique, praxéologique, que Lacan fait entendre est censée s’accomplir par un travail, qui est le travail de l’Ecole, et ce travail passe par le cartel – non par le séminaire, la conférence, le cours.

Cartel et passe
Pourquoi le cartel est-il pour Lacan congruent avec le travail de l’Ecole, dans son exigence la plus intime et la plus haute ? On peut répondre à cette question : pour répondre, il faut d’abord se demander – Qu’est-ce qui a compromis la vérité de la psychanalyse et dévoyé sa pratique ? Nous connaissons la réponse de Lacan – au moins sur son versant institutionnel : on la trouve développée dans « Situation de la psychanalyse en 1956 ». Le méchant de l’histoire, c’est la béatitude, c’est le didacticien. En effet, le cartel, tel que Lacan l’apporte dans l’Acte de fondation, est une machine de guerre contre le didacticien et sa clique – comme Lacan en emploie ailleurs l’expression. Cela fait bien voir la parenté du cartel et de la passe. La passe, comme le cartel, est, du point de vue institutionnel, une machine anti-didacticiens. L’Ecole, avec son cartel, et sa passe, est un organisme qui vise à arracher la psychanalyse aux didacticiens. Apparemment, cela tend toujours à se reformer, puisque Lacan a été amené à dissoudre cette Ecole pour les mêmes raisons qui la lui avaient fait fonder. La passe a le résultat institutionnel évident de faire échapper la nomination des AE aux didacticiens. Le cartel tendait, dans l’idée de Lacan, à faire aussi échapper à l’emprise des didacticiens les membres de base incités à ne pas se grouper en cliques concurrentes, mais à entrer dans l’organisation circulaire de l’Ecole.
Lacan ajoute, dans l’Acte – « Ceci n’implique nullement une hiérarchie la tête en bas ». Faut-il y reconnaître une dénégation ? C’est au moins mettre le didacticien sens dessus-dessous. Si ce n’est pas une hiérarchie à l’envers, mais bien une organisation circulaire, celle-ci est marquée au coin d’un
égalitarisme certain. Dans le système des cartels, l’un vaut l’autre. L’idéologie du cartel a un petit côté leveller, niveleur. Et, de fait, Lacan a été accompagné, dans toutes ses initiatives, d’une Fronde des notables, qui a commencé à la fondation elle-même, qui s’est poursuivie au moment de la « Proposition » de la passe, et qui s’est conclue par la dissolution de la première Ecole.

Le Plan Lacan
Si l’on saisit que, dans l’intention de Lacan, le travail de l’Ecole passait par le cartel – et non le séminaire, la conférence, etc. – on comprend alors la fonction des Sections de l’Ecole. Lacan avait prévu trois Sections qui étaient autant de regroupements de cartels.
Ce plan d’Ecole, le Plan Lacan, n’a jamais été réalisé. Selon ce plan, le travail de l’Ecole s’exécute par cartels. S’il y a des cours, des séminaires, des conférences, cela se fait hors Ecole. D’ailleurs, le Séminaire de Lacan était hors Ecole. L’Acte de fondation dit que le propre de l’Ecole, dans son rapport à la vérité, c’est le travail par cartels.
La question pourrait être d’actualité. II suffirait de le décider. Cela supposerait de s’interroger sur le point de savoir pourquoi le Plan Lacan n’a jamais été réalisé. Parce qu’il était irréalisable ? Parce qu’on ne peut
inhiber ni la croissance de charismes, ni la demande de charisme ? Faut-il réaliser ce plan ? Ou serait-ce un fondamentalisme du cartel ? Faut-il modifier quelque chose de la définition du cartel, ou de la pratique
du cartel, pour réaliser le Plan Lacan ? – comme, après tout, il a fallu compléter la « Proposition » de la passe pour la rénover. On me dit qu’il y a un peu d’incertitude quant aux cartels. Si c’est le cas, il faut choisir – continuer sur la lancée, ou repenser à nouveaux frais.

Jacques-Alain Miller a répondu à des questions de l’assistance dans les termes suivants (résumé).
La question qui reste posée par le Plan Lacan de 1964 est la suivante : est-ce que nous voulons, ou est-ce que nous ne voulons pas que l’Ecole soit à part ? L’idée initiale est d’une Ecole à part, et qui, de ce fait même, peut répondre à la question que lui pose – ou devrait lui poser – la société, voire l’Etat : celle de la qualification du psychanalyste. De quelle façon voulons-nous être à part ? Ou bien voulons-nous ne pas être à part ? Comment donner le maximum d’intensité à l’Ecole ? Est-ce en important ce qui fonctionne avec succès dans d’autres lieux ? Ou, au contraire, en allant au bout de notre spécificité, telle que Lacan la dessine ici ? En l’assumant et en la travaillant ? L’Ecole va-t-elle devenir l’Ecole des ACF ? l’ensemble
des ACF ? Ou restera-t-elle leur « plus-un » ? Cela suppose de réinventer sa différence. La passe met déjà l’Ecole à part. Le cartel peut-il aussi mettre l’Ecole à part ? Ou est-il définitivement banalisé ?

Jacques-Alain Miller.
Intervention à la Journée des cartels du 8 octobre 1994 à l’ECF, transcrite par Catherine Bonningue.
(Paru initialement dans La Lettre mensuelle 134)

L’Ecole à l’envers

Comprendre le nouveau en réchauffant l’ancien.
Confucius, Entretiens, II, 11.

Une lecture attentive de l’Acte de fondation ne devrait laisser aucun doute : dans l’intention de Lacan, le travail de l’Ecole – « restaurer la vérité..., ramener la praxis... dans le devoir..., dénoncer les déviations et les
compromissions... » – passait par le cartel. Par le cartel, c’est-à-dire : non par les séminaires, ni par les cours, ou les conférences, ou les colloques. Rien de tout cela : le cartel.
Faut-il revenir au plan Lacan de 1964 ? J’en ai posé la question hier, à la journée des cartels. A l’invitation de L’Envers, je poursuis sur ma lancée.
L’Ecole de la Cause freudienne sait qu’elle est nouvelle. Elle entame sa seconde époque. Elle a de nouveaux statuts. C’est ECF 2.
Cela est acquis. Cela ne dispense pas d’anticiper sur le processus en cours. Un petit effort d’imagination, et de déduction, est requis pour rester « ahead of the curve ».

Les ACF sont, pour l’Ecole, une chance. Elles sont aussi un péril.
En effet, les ACF étendent maintenant leur réseau sur la France entière, sans compter la Belgique francophone ; L’Envers prendra son essor à Paris ; le nom de l’Ecole, ses publications, ses activités, parviendront demain dans les villages ; nous sommes sur le seuil d’une expansion inédite par son
ampleur, et qui marquera l’histoire de la psychanalyse en France. Très bien.
Les ACF s’insinuent dans les interstices que leur offre le tissu social, se trament en lui, bien plus agiles à s’y tricoter que l’Ecole ne peut l’être. C’est ce que nous voulions.
Voulons-nous maintenant que l’Ecole soit le nom de l’ensemble des ACF ? Qu’elle devienne l’Ecole des ACF ? Les ACF avancent sur l’Ecole. Celle-ci a dû déjà repousser l’assaut, tout amical, de l’Ile-de-France.

Si l’Ecole ne veut pas devenir l’ensemble des ACF, mais rester leur Plus-Une, il lui faut « se resserrer sur ses tâches propres » (voir l’Avant-propos de l’Annuaire 1995), c’est à dire réinventer sa différence. Sa différence, ce serait d’être un organisme cohérent avec le discours analytique.

Elle l’est, quand on la rejoint, non par la voie du service rendu, mais par celle de la passe, mode de sélection qui lui est propre, et qui demeure incontesté.
Elle ne l’est pas, quand les enseignements qu’elle promeut ne se distinguent en rien de ce qui se fait partout ailleurs, dans les ACF, dans les Sections cliniques, à l’Université, à l’IPA. Appliquer le plan Lacan de 1964, ce serait mettre hors-Ecole, ou sur le pourtour de l’Ecole, tout ce qui est séminaires, conférences, cours, dégager un espace central pour « le travail de l’Ecole », exécuté selon « le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe ». Ainsi l’Ecole de la passe serait-elle aussi celle du cartel.

Seulement, ce cartel-là ne serait pas celui que nous pratiquons – et qui fut défini par Lacan, remarquons-le enfin, pour le bénéfice de la Cause freudienne, non de son Ecole, qui n’existait pas encore.

Faut-il distinguer les cartels ACF et les cartels de l’Ecole ? La question a été posée. Toujours est-il que le cartel modèle 1964 donnait au Plus-Un une fonction qui s’est perdue, du même mouvement qui déclassa le cartel.

Le cartel aujourd’hui est en effet un organe où l’on fait son apprentissage. Lorsque celui-ci est achevé, ou qu’on le croit, on tend à déserter le cartel. Or, le cartel d’apprentissage n’est pas dans l’intention première de Lacan. Le cartel originel était un organe de critique et de contrôle des productions. D’où le rôle de la « Plus-une personne », « chargée de la sélection, de la discussion, et de l’issue à réserver au travail de chacun ». Dans le cartel contemporain, on ne comprend même plus ce que cela peut vouloir dire.

On dira que ce qui avait un sens dans une Ecole d’une petite centaine de membres, comme était l’EFP en 1964, n’en a pas pour la nombreuse ECF avec son cortège d’ACF. Je le nie. Qui sont aujourd’hui les sélecteurs ? Qui sont ceux qui décident de l’issue à réserver aux travaux ? Ce sont des comités – comités d’organisation, comités de rédaction, comités de gestion, comme est le Directoire – brassant des affaires innombrables, à qui l’on soumet son travail, et qui répondent par un oui ou par un non. Dans un ensemble aussi vaste où faire « reconnaître son travail » – je ne dis pas le faire publier – deviendra toujours plus difficile, ne seriez-vous pas heureux de faire partie d’un petit groupe composé de collègues disponibles, qui prendraient connaissance de vos élaborations pour les discuter, et vous les faire ré-élaborer ? C’était cela même, le cartel 64.

Lisons encore une fois l’Acte de fondation. Il ne s’agissait pas d’une élaboration soutenue par un petit groupe, mais dans un petit groupe ; il ne s’agissait pas de proscrire les « entreprises personnelles » mais que toutes soient soumises dans l’Ecole à des « conditions de critique et de contrôle ». Ce ne sont pas des comités accablés de tâches pratiques qui peuvent répondre à cette exigence, mais bien des cartels. Les anecdoctes, je pourrais en apporter beaucoup à l’appui. Tel collègue, publié en bonne place dans la prestigieuse revue de l’Ecole, se désespère pourtant que son élaboration n’ait aucun écho. Tel autre publie sans le dire, sans le savoir peut-être, les dits d’un collègue, et personne ne lit d’assez près pour s’en apercevoir. Ne disons rien de l’émotion produite par la critique quand elle se fait en public, ce qui est rare ni de l’émotion produite par le silence de toute critique (cela s’appelle l’ennui, l’ennui prix de l’unité, l’ennui unien).

Présenter ses élaborations dans un petit groupe, être écouté, critiqué, conseillé par des camarades, n’avoir pas à solliciter seul la publication de son travail, la programmation de son exposé, mais avoir son cartel, son plus-un, pour intercesseurs – ne serait-ce pas mieux que la situation qui prévaut dans l’Ecole ? Si l’on veut que cela se fasse, il y faut rien de moins qu’une refonte du cartel. Cela met en question une routine puissante, qui est là. Pour changer les us d’un corps constitué, un seul ne peut rien (à moins d’être Meiji).

Si je suis seul, gardons nos nattes.

Jacques-Alain Miller

(Paru initialement dans L’Envers de Paris n°1)

Pour en savoir plus sur le travail en Cartel et son principe, on peut se rendre à la Rubrique Cartels du site de l’ECF.

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