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Publié le dimanche 17 septembre 2023

LETTERiNA

N° 81 - Au-delà des identifications

Eté 2023

Gilles Bellet
Polarités successives
2006, Techniques mixtes sur tôle
25*50, collection particulière



LIMINAIRE


Les 52e Journées de l’ECF, les Grandes assises virtuelles internationales de l’AMP, les cartels mais aussi le travail en institution ont mobilisé de nombreux collègues Vous pourrez lire ici quelques travaux qui témoignent d’une pratique analytique liée à la civilisation et aux formes contemporaines de son malaise dont le déni de l’Inconscient.

Rejoindre à son horizon la subjectivité de son temps, telle fut l’invitation faite aux analystes par Lacan dès 1953 dans son discours de Rome. Aussi le thème des J52 nous plonge-t-il dans ce qui agite notre époque : autodétermination « je suis ce que je dis », un homme, une femme, un trans, binaire ou non binaire et tant d’autres, autant de signifiants qui circulent, produisent leurs effets qu’il est nécessaire de prendre le temps d’interpréter.

« Comment le sujet, être vivant et parlant, pris dans des relations sociales, traversé par les impasses de la civilisation s’accommode-t-il de ce nouveau cogito ? Par quelles voies en vient-il à rencontrer un analyste, et comment se fait alors le branchement sur l’inconscient1 ? » Éric Zuliani souligne encore combien l’autodétermination « je suis ce que je dis » est une affirmation aux accents impératifs dont la conséquence est d’une part l’effacement de l’énonciation et d’autre part le ravalement de l’Autre à l’écoute.

« Cette Identité qu’il affirme dans laquelle il se reconnaît, s’impose certes d’abord au sujet du dico lui-même mais il lui faut ensuite l’imposer à l’Autre qu’il institue comme témoin de ce qu’il est2 ».

Que vise le dico : ravaler l’Autre à l’écoute et au silence en neutralisant la parole. Pourquoi ? Parce que celle-ci « pourrait bien sûr, nier son identité, mais même seulement l’Interroger3 ».

Anaëlle Lebovits-Quenehen cite Ève Mlller-Rose : « faire de tout propos qui ne soit supplétif à ces discours identitaires une blessure, une offense, c’est prêcher que les mots sont blasphématoires ».

Voilà des indications précieuses qui invitent d’une part à la prudence mais aussi à l’usage de la délicatesse avec des parlêtres « offensés » par les mots. Ainsi le praticien orienté par la psychanalyse, qui connaît le pouvoir de la parole, sa valeur interprétative et ses effets, aura chance,
par des manœuvres subtiles, de faire place à l’inconscient.

Des textes témoignent de l’accueil fait à des sujets en prise avec « le déni contemporain de l’inconscient » et du travail mené avec eux. S’y lit une orientation précise.

Puis, les Grandes assises virtuelles internationales de l’AMP sur le thème « La femme n’existe pas » a aussi orienté nos travaux : « La définition de la féminité ne nous laisse pas tranquille. L’être que la parole nous décerne est peu consistant, insaisissable, ce qui nous entraîne dans une passion du mot juste qui dirait enfin l’être féminin authentique4. »

Une relecture précise du cas freudien de Dora, mais aussi une exploration des concepts de semblants, de pas-tout, de mascarade nous permettent d’approcher « ce continent noir » avec les avancées de Lacan et de Jacques-Alain Miller.

L’institution et le pousse à l’invention sont finement dépliés par des collègues qui ont le souci du détail parfois étrange, bizarre : Ils y portent une fine attention, ils démontrent en acte, comment ils se proposent de soutenir les inventions initiales d’un parlêtre, il s’agit d’un traitement au cas par
cas, ne relevant pas de la norme.
D’autres soulignent la façon dont ils parviennent à soutenir le discours analytique d’une façon renouvelée en imaginant un dispositif de travail où chaque professionnel peut trouver sa place mais surtout peut loger son énonciation. De ces conversations, il s’agit d’ « extraire la logique qui peut se déduire de ce moment de rencontre, afin de cerner le rapport du sujet à la langue, au corps et à la jouissance. Il s’agit alors non pas de plaquer un savoir théorique sur chaque situation, mais plutôt de s’enseigner de chaque cas, de s’émerveiller des inventions de chaque sujet pour se débrouiller des conditions de son existence5 ».

Enfin les cartels, un axe fort, dispositif de l’École bien vivant en Normandie ; les effets subjectifs sont lisibles. À lire sans modération.

Nous remercions chaleureusement Gilles Bellet d’avoir accepté de nous confier une de ses œuvres pour Illustrer notre numéro. Enseignant spécialisé, il est aussi artiste peintre. Il a commencé à peindre tardivement nous confie-t-il, dans les années 2000. Il souligne l’Importance du rapport à l’art qui prend racine dès son plus jeune âge grâce à la sensibilité de ses parents.

« Il travaille la peinture comme pure matière, faisant de la toile une peau épaisse, une écorce à vif [...]6 »
Son œuvre témoigne de l’impact qu’ont eu sur lui les gestes mais aussi l’approche et le maniement de la matière des artisans de sa famille. « Il enduit, recouvre de couches successives, mêle des ajouts de plâtre, de sable, de pigments purs, puis gratte pour faire ressurgir les couches cassées, laisse reposer, revient par-dessus [...]7 »
Les tôles sont en effet pour la plupart laissées à l’extérieur, subissant ainsi l’effet des intempéries, mais aussi celui du temps. Il diversifie les supports, toiles, bois, tôles, expérimente l’épaisseur des choses mais aussi la temporalité. Il entretient un rapport frontal8 avec la matière. « Il attaque [...] la toile, griffée, écaillée et malmenée, faisant resurgir les couches inférieures comme autant de palimpsestes : et alors que tout s’efface, tout s’écrit9. Il exploite les accidents de matière, faisant ainsi un usage singulier des contingences. « Ces peintures, quel qu’en soit le format [...] portent toujours en elles le signe d’un infini10. »

Ajoutons que la poésie, la sonorité de la langue, sa motérialité imprègnent son travail. Nous retrouvons même Lacan au décours des auteurs cités.
Fort de ce corps â corps avec la matière, il en partage l’essence dans le cadre d’ateliers pour enfants au sein de l’association « Point limite ». Il accompagne et soutient l’élan créatif, reste attentif à soutenir l’inventivité de chaque-un.

Pour le plaisir du texte, lisez le poème qui suit, de l’artiste.

Refuge[s)

Sous un abri
Au sommet des cimes
ou devant un horizon
Au milieu de la foule
ou perdu dans un désert
Dans un souvenir

Il peut être dans la fuite
Il peut être dans l’absence
Dans le vide ou dans le trop plein
ou juste en soi

Derrière une porte
Derrière une porte qui ne se ferme pas
Dans ce que l’on voit les yeux fermés
Dans ce que l’on ne regarde pas
Dans une projection
Suit le.s chemin.s qui y mène.nt
Sur le.s chemin.s qui nous perde.nt
Dans ce que l’on trouve sans le chercher

Il peut être dans la peinture

Son travail est visible en partie sur le site cité en référence .

Marie Izard

Notes :
1 Zuliani E., « Trois interprétations du thèmes des J52 : l’argument d’Eric Zuliani », juin 2022, consultable en ligne
2 Lebovits-Quenehen A., « Trois interprétations du thèmes des J52 : l’argument d’Anaëlle Lebovits-Quenehen », juin 2022, consultable en ligne
3 Ibid.
4 Alberti C., « Argument des Grandes assises virtuelles de l’AMP 2022 », 30 avril 2021, consultable en ligne
5 Rouillon J-P., « Donner sa chance à l’invention », Letterina, n°65, juin 2015, p.12
6 Jaudon J-F. « Un voyage dans l’épaisseur des choses », consultable sur le site http://gillesbellet.com/
7 Ibid.
8 Laval E., « Paysages méditatifs », consultable sur le site http://gillesbellet.com/
9 Ibid.
10 Jaudon J-F., op.cit.

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SOMMAIRE

Liminaire, Marie Izard

La féminité à l’aune de la norme mâle
Esquisse de réflexion sur la mascarade et les semblants chez La femme [qui n’existe pas], Alexia Lefebvre-Hautot
Pourquoi la femme hystérique est-elle toujours un homme ?, Barbara Brière
Le désir féminin, Samantha Anicot
Sexuation, couleur d’être, Christelle Pollefoort
Fille : une possible lecture lacanienne, Judith Couture

Le dico à l’épreuve de la clinique lacanienne
La « norme sexuée » interrogée par le genre, Valérie Pera-Guillot
Dire pour être, « Je suis un homme efféminé », Marie Majour
« Je me suis toujours senti garçon », Béatrice Demuynck
Faire consister la femme comme rempart à l’énoncé « je suis une bonne mère », Céline Guédin
« L’identification est ce qui se cristallise dans une identité », Marie-Claude Sureau

Le pousse à l’invention dans l’institution
Une heureuse rencontre, Laurence Morel
François Tosquelles : thérapie institutionnelle, pratique à plusieurs, Catherine Grosbois
Du silence au mutisme sélectif, Valérie Letellier
Psychanalyse et institution, David Coto et Sébastien Ponnou interviewés par Marie Izard

L’expérience du cartel : pas sans effet subjectif
Une langue étrangère, Manuela Baty
Cartel : chacun cherche son chat, Bertrand Barcat

Kiosque
Au-delà des apparences. D’un lit à l’autre : la vie et l’être de Frida Kahlo, Christelle Pollefoort
L’énergie positive des dieux, quand les autistes prêtent leur voix à la musique rock, Lydie Lemercier-Gemptel




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