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Publié le mardi 6 mars 2012

Editorial de mars 2012

Pour l’abord clinique de l’autisme

Eric Guillot

Depuis le 16 février 2012, à l’initiative de l’Institut psychanalytique de l’enfant, une « Pétition internationale pour l’abord clinique de l’autisme » a été mise en ligne sur le site de l’ACF-Normandie et de l’Antenne clinique de Rouen.

Elle vient en réponse, non seulement à la proposition de loi du député du Nord Pas-de-Calais Daniel Fasquelle, « visant l’arrêt des pratiques psychanalytiques dans l’accompagnement des personnes autistes, la généralisation des méthodes éducatives et comportementales, et la réaffectation des financements existants à ces méthodes », mais encore en réponse au rapport à paraître prochainement de la Haute Autorité de santé (HAS)1, venant disqualifier les interventions fondées sur les approches psychanalytiques et sur la psychothérapie institutionnelle dans le traitement de l’autisme.
Le démenti apporté par l’HAS n’a pas levé les inquiétudes, et cette pétition a déjà recueilli de nombreuses signatures émanant d’associations, de professionnels impliqués dans l’accueil, le soin et l’accompagnement des sujets autistes, de parents dont les enfants sont accueillis en structure médicale ou médico-sociale, et des citoyens concernés.

Pourquoi une telle protestation ?
C’est que « ce soudain parti-pris de l’HAS a été ressenti comme une agression brutale par tous les professionnels qui se vouent à leurs taches auprès des autistes2 ». Au-delà de l’attaque contre la psychanalyse, c’est en effet la psychiatrie qui est attaquée ; l’enjeu clairement énoncé par le député Fasquelle est de réorienter les fonds publics vers les seuls techniciens du conditionnement comportementaliste.

Sur quoi reposent cette proposition de loi et les arguments retenus par la Haute Autorité ?
D’une part sur l’idée qu’il y aurait un consensus de la communauté scientifique internationale concernant la causalité de l’autisme – celle-ci serait exclusivement neurologique et/ou génétique –, et d’autre part sur l’idée que les techniques de conditionnement comportemental3 seraient les seules à être validées scientifiquement par cette même communauté scientifique.

Or il n’en est rien.
La communauté scientifique ne sait rien de la cause de l’autisme comme le rappelait encore récemment la revue Nature : « À l’exception de quelques rares troubles, comme le x fragile ou le syndrome de Rett, qui conduisent à des formes d’autisme, aucune altération d’un gène singulier ou d’un ensemble de gènes, ne peut prédire cette condition de façon fiable4. »
Quant à l’efficacité des méthodes intensives de conditionnement comportemental appliquées aux autistes, des études récentes, notamment celle de François Sauvagnat (« Les TCC mises à nu »), ont montré que non seulement leur évaluation était sujette à caution car elle reposait sur un biais méthodologique, mais encore que leur efficacité dans le temps n’était aucunement démontrée5.
Bien plus, la prescription de ces techniques « aversives » reposant sur un système de récompense-punition, posent de graves problèmes d’ordre éthique. Et comme le souligne Eric Laurent (ici), au demeurant, ce ne sont pas les psychanalystes qui sont les adversaires les plus résolus de ces méthodes intensives de conditionnement que d’aucun aimerait voir se généraliser, ce sont les autistes eux-mêmes. Il cite à ce propos les travaux très documentés d’une chercheuse autiste d’origine canadienne, Michèle Dawson6, qui participe à l’équipe du professeur Laurent Mottron à Montréal. Ces mêmes critiques se retrouvent dans le témoignage exceptionnel d’une autiste célèbre, Donna Williams7, ou encore chez Temple Grandin8 et bien d’autres.
C’est en effet en écoutant les autistes9, en prenant appui sur leurs témoignages, que nous pourrons trouver les repères susceptibles d’orienter notre approche de l’autisme. « La meilleure approche, nous dit Donna Williams, serait celle qui ne sacrifierait pas l’individualité et la liberté de l’enfant à l’idée que se font de la respectabilité et de leurs propres valeurs les parents, les professeurs comme leurs conseillers10. »

Tel est en effet ce qui doit nous guider. À l’opposé des idéaux de normalisation qui animent les méthodes de conditionnement comportemental, nous avons à promouvoir « un accueil [de l’autisme] qui ne soit pas basé sur le déficit et qui tienne compte de la particularité de chaque sujet11 », ainsi que de ses capacités d’invention. « La situation familiale fait partie de ces particularités. » Il s’agit donc de promouvoir « la mise en place de parcours spécialement tissés pour chacun ». Cette formulation extraite d’un texte de l’Institut psychanalytique de l’Enfant intitulé « Nos convictions », résume bien la perspective que nous avons à défendre : celle d’« une approche taillée si possible sur mesure, pour chaque sujet, individuellement2 ».

Les auteurs de cet article en rappellent les principes fondamentaux :
– « Se tenir à distance des idéaux de normalisation et de normalité incompatibles avec l’accompagnement professionnel de sujet en souffrance. »
– « Respecter la position du sujet ; ce qui ne veut pas dire laisser l’enfant ou l’adolescent être le jouet de ses stéréotypies, [… ] mais y introduire une présence discrète ».
– « Aider l’enfant à localiser l’angoisse ou la perplexité que déclenche en lui l’interpellation d’un autre et la mise en jeu des fonctions du corps dans leur lien avec cette demande… »
– Privilégier « les approches pédagogiques et éducatives qui savent s’adapter pour faire une place aux singularités sociales et cognitives des enfants autistes ». […] Dans ce but, les psychanalystes s’efforcent de promouvoir « les institutions et les
pratiques qui garantissent que l’enfant et sa famille seront respectés dans le moment subjectif qui est le leur. »
– S’élever « avec la plus grande force contre des méthodes dites « d’apprentissage intensif » qui sont en réalité des méthodes de conditionnement comportemental. » Il y a de nombreuses conceptions de l’apprentissage. Toutes ne se valent pas. Il importe de les différencier.

Une telle approche de l’autisme implique des choix éthique, économique et politique. Elle fait le pari qu’il « est possible de construire un autre monde que le monde de défense et de protection où est enfermé l’enfant autiste11. »


Notes :

1 Journal Libération, lundi 20 février 2012.
2 Note de synthèse d’un haut fonctionnaire à l’intention de sa hiérarchie. Lacan quotidien N° 157, 16 février 2012.
3 Il s’agit en particulier de la méthode ABA, « Analyse comportementale appliquée » élaborée par Ivar Lovaas.
4 Nature, 3 novembre 2011, Extrait de l’Editorial. The mind’s tangled web. Nature 2011 ; 479 :5, Article cité dans Lacan Quotidien N°163, 24 février 2012.
5 Voir en particulier les travaux de Michèle Dawson, cités par François Sauvagnat, op. cit., et par Eric Laurent, « Critique de la HAS : une politique anti-ABA pour l’autisme », dans Lacan Quotidien N° 164, 26 février 2012.
6 Dawson M., « La mauvaise conduite des behavioristes ou les problèmes éthiques de l’industrie Aba-autisme. », 2004, cité par E. Laurent, Lacan Quotidien N°164, 26 février 2012.
7 Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, 1992, Robert Laffont. Paris 1992.
8 Grandin T. Penser en images, 1995. O. Jacob, Paris 1997.
9 Maleval J-C, « Ecoutez les autistes ! », Lacan quotidien N° 155, 14 février 2012.
10 Williams D., op. cit. p. 290., cité par Jean Claude Maleval, Lacan quotidien N° 155.
11 Judith Miller, Jean Robert Rabanel, Daniel Roy, Alexandre Stevens, « Nos convictions », Commission d’initiative de l’Institut psychanalytique de l’Enfant », Lacan quotidien N° 148, 4 février 2012.

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