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Publié le mardi 25 mars 2025
Congrès de la NLS
Les amours douloureuses
17 et 18 mai 2025 – Paris

Le titre, « Les amours douloureuses », consonne avec les amours malheureuses. Il évoque la dimension dramatique, voire tragique de l’amour ou des amours. Le terme « douloureux », lui, laisse entendre une tonalité d’excès dans la peine éprouvée. Ainsi, certains affects, comme la tristesse, font signe d’un mal-être, d’autres, comme l’angoisse, connotent un franchissement de la limite du supportable. Freud a placé au centre de la problématique de la souffrance psychique la tension entre principe de plaisir et au-delà du principe de plaisir. Lacan, quant à lui, a mis en lumière une étrange satisfaction, mixte de plaisir et de douleur, qu’il a désignée sous le vocable de jouissance. Toute une littérature, à laquelle Roland Barthes se réfère dans son essai Fragments d’un discours amoureux, fait fond sur les douleurs d’amour ; le mal d’amour se déclinant en une variété de manifestations : l’attente, l’ascèse, le ravissement, la compassion, la dépendance, l’exil, l’errance, la jalousie etc. Plus récemment, le titre de l’œuvre de Sophie Calle sur le deuil amoureux, Douleur exquise, fait aussi résonner une satisfaction paradoxale.
À partir de différentes approches de l’amour dans l’enseignement de Lacan, non sans les apports de Freud, à notre tour nous explorerons les ressorts des amours douloureuses.
Manque, dépit et tristesse
Dans le Séminaire Le transfert, Lacan met au cœur du problème de l’amour, la fonction du manque. Il en extrait une définition : l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas1. En même temps, il souligne que ce qui manque à l’un n’est pas ce qui manque à l’autre : la dissymétrie entre l’amant et l’aimé constitue le problème de l’amour. « Il suffit, dit-il, d’être dans le coup, d’aimer, pour être pris à cette béance, à ce discord2. » Mais c’est justement de la non conjonction du désir avec son objet que doit surgir la signification d’amour au terme d’une opération spécifique : la métaphore de l’amour. On reconnaît là les prémisses de son assertion plus tardive : l’amour supplée au non rapport sexuel. La métaphore de l’amour relève de la contingence. Quand elle a lieu, le miracle se produit, dans le cas contraire, la déception ou la désolation sont au rendez-vous. Dans Le Banquet de Platon, la scène qu’Alcibiade fait à Socrate témoigne de son dépit face au refus du don du signe d’amour. Socrate n’aime pas, affirme Lacan, déjà attentif à la valeur et à l’impact du signe d’amour en tant qu’il s’adresse à l’être.
Lacan conteste la conception de l’amour qui rassemble, agglomère, assimile, agglutine des êtres complémentaires. Il balaie cette illusion de l’amour fusion adossée à la forme idéale de la sphère. Il observe également que l’adhésion affective à ces formes pleines trouve ses fondements dans la structure imaginaire et la « Verwerfung de la castration3 ».
Lacan se réfère aussi à Freud pour qui le fondement de l’amour, est le Lust-Ich, et l’amour effet du narcissisme4.
Ainsi, dans le Séminaire La logique du fantasme, il avance la formule suivante : « Tu n’es que ce que je suis. Tu n’es pas, donc je ne suis pas5 ». Ou encore : « Si tu n’es pas, je meurs 6 ». Vérité, dit-il, donnant le sens de l’éros et qui, du fait d’être rejetée, réapparaît dans le réel sous la forme d’un « monstre dont nous connaissons assez bien les effets dans la vie de chaque jour ». Il poursuit : « Comme je l’énonce de toute Verwerfung […], l’amour se manifeste dans le réel par les effets les plus incommodes et les plus déprimants. Les voies de l’amour ne sont nulle part à désigner comme si aisément tracées7. » Lacan le note, l’amour ne pense pas. Autrement dit, l’amour méconnaît le fantasme narcissique dont il se soutient. C’est alors qu’il peut prendre la couleur de la dépression, ou de la tristesse, en tant que cet affect indique le refus ou le rejet du savoir inconscient.
Dans Télévision, Lacan corrèle explicitement la tristesse à une faute morale qui, dit-il, « ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure8 ». Il arrache l’affect au registre émotionnel et l’articule à l’éthique du bien dire, « consistant à cerner, à serrer, dans le savoir, ce qui ne peut se dire9 ». Alors que la tristesse, énonce Jacques-Alain Miller, est un savoir manqué.
La même année dans sa « Note italienne », Lacan émettra le vœu, concernant la psychanalyse, « d’agrandir les ressources grâce à quoi ce fâcheux rapport, on parviendrait à s’en passer pour faire l’amour plus digne que le foisonnement de bavardage, qu’il constitue à ce jour10 ».
Amours et discours
Cependant, il fallut attendre le Moyen Âge pour voir apparaître la promotion de l’amour réciproque malheureux sous la forme de l’amour courtois. Lacan attribue l’émergence de cette forme d’amour à la contingence d’une rencontre entre l’hérésie cathare et une nouvelle poésie des troubadours. Pour lui, l’amour passion est d’abord un fait de discours qui n’arrive pas à n’importe quelle époque. Il le qualifie de « mauvais rêve impossible dit de la féodalité » où « du côté de la femme, il y avait quelque chose qui ne pouvait plus du tout marcher11 ». Lors de son Séminaire Encore, il situe cette invention de discours comme le seul moyen pour l’homme, dont la Dame était entièrement la sujette, de « se tirer d’affaire avec élégance de l’absence de rapport sexuel12 ». L’homme s’en sort, en effet, par une idéalisation de la Dame et une valorisation de son inaccessibilité, tandis que le discours amoureux s’alimente du manque, du deuil, de la perte, de la mort. Dans son Séminaire L’éthique de la psychanalyse, Lacan remarque la précision de l’« organisation artificielle, artificieuse du signifiant13 », de ce discours fixant à un moment le cadre d’une ascèse. La suspension du plaisir charnel, la conduite du détour et l’inaccessibilité de l’objet valent alors comme discipline du plaisir ou du non plaisir. En fait preuve l’arbitraire des exigences de l’épreuve infligée à son servant par la Dame, non sans une certaine cruauté. Lacan relève d’ailleurs que les pratiques amoureuses les plus ascétiques ont été empruntées à L’Art d’aimer d’Ovide qui comparait l’amour à une espèce de service militaire.
Pareillement, il souligne l’incidence décisive du signifiant et du passage à la lettre de cet art d’aimer dans la culture. L’amour romantique en sera une forme de résurgence.
On le voit, l’amour n’est pas sans rapport avec l’Idéal que véhicule la tradition ordonnant les rapports entre les sexes. Mais, à cet ordre ancien, « âge du Père », structuré par une logique verticale, s’est substituée une logique horizontale, celle du réseau affine avec le pas-tout, comme Jacques-Alain Miller l’a fait valoir14. Dans cette perspective, les reconfigurations actuelles de la cellule conjugale en une variété d’arrangements, comme celui du « polyamour » ou du « trouple » se substituant au duo standard, changeraient-elles la nature des affres de l’amour ? En tout état de cause, les souffrances d’amour sont interprétées aujourd’hui différemment de jadis. Au discours amoureux, appréhendé à partir du manque, de l’objet perdu, ou de l’Idéal inaccessible, s’est substitué un autre discours rabattant le ratage sur l’axe imaginaire dominant-dominé. Lors du dernier Congrès de l’AMP, Jacques-Alain Miller en a constaté la prégnance sur les rapports amoureux.
Alors que le champ semblait plus ouvert et propice à l’invention, ont fait irruption des signifiants appartenant au lexique de lutte des sexes déjà prophétisée par Lacan : emprise, manipulation, domination, forçage, abus, ghosting… En contrepoint se promeut une forme d’amour prétendument consensuelle fondée sur une reconnaissance mutuelle et régie essentiellement par le régime homéostatique du principe de plaisir. Les mouvements féministes ont politisé la sphère privée. Au nom de l’égalité des sujets de droit, ils ont contribué à ce que le discours juridique s’interpose entre les sexes, et souvent pour un mieux. Mais aujourd’hui, avec la coalescence du néoféminisme et de l’idéologie victimaire, on assiste à une politisation de l’intime. Celle-ci , tout en épousant les nouvelles normes de discours, s’acharne sur un patriarcat déjà sur le déclin. La guerre des sexes s’attise et le plus souvent pour le pire. Dès-lors, ne pouvons-nous pas voir dans cette attribution des souffrances amoureuses à la domination d’un sexe sur l’autre, en l’occurrence celui de l’homme sur la femme, une nouvelle forme de rejet de l’amour et de ses risques ? Le récent succès planétaire du film Barbie semble assurément le montrer.
Dans ce contexte adossé au discours de la science, seul le discours analytique ferait encore place au réel de l’éros.
Une affaire de structure
L’amour n’est pas seulement relatif aux effets de discours, variant selon l’époque, il est aussi affaire de structure.
Grâce aux hystériques, Freud s’est d’emblée intéressé au phénomène amoureux. À plusieurs reprises, il a étudié son fonctionnement. Dans son texte « Psychologie des foules et analyse du moi15 », il a consacré un chapitre entier à l’état amoureux et à l’hypnose. Il prend l’exemple de l’amour romanesque du jeune homme afin d’exemplifier l’appauvrissement du moi face à l’objet précieux, magnifié en place d’Idéal du moi. Dans l’état amoureux, celui-ci prendrait finalement possession de la totalité de l’amour de soi, dépossédant le moi de tout esprit critique. Freud qualifie ce phénomène « d’autosacrifice » et le rapproche de l’état de l’hypnotisé. Ses mots sont forts : absorption du moi par l’objet, abandon du moi, sujétion, fascination. Il n’est dès lors pas surprenant qu’à l’occasion d’un deuil, d’une rupture ou d’une trahison, le sujet se sente amputé d’une part de lui-même – mutilation qui ne va pas sans son lot de douleur.
Dans son dernier enseignement, Lacan va situer le drame amoureux proprement dit au regard de la rencontre amoureuse comme telle. Celle-ci ne va plus concerner deux sujets du manque-à-être mais deux corps parlants « affecté[s] en tant que sujet du savoir inconscient16 ». Dans son Séminaire Encore, il énonce : « Car il n’y a là rien d’autre que rencontre, la rencontre chez le partenaire des symptômes, des affects, de tout ce qui chez chacun marque la trace de son exil, non comme sujet, mais comme parlant, de son exil du rapport sexuel17. » Jacques-Alain Miller formule, dans L’os d’une cure18, que dans la perspective du non rapport sexuel, et donc du partenaire symptôme, les êtres sexués font couple au niveau de la jouissance. Quant à la liaison symptomatique, elle serait relative aux structures signifiantes du corps qui déterminent un partenaire comme moyen de jouissance. En conséquence, il y a lieu de distinguer la structure du pour tout x de celle du pas-tout qui répartit les modes masculins et féminins de la sexuation et détermine le type de partenaire symptôme de chacun. Autant dire que de part et d’autre, on ne jouit pas et on ne pâtit pas de l’amour de la même façon. On attribue au parlêtre masculin le mode de jouir fétichiste relatif à l’objet a, et au parlêtre féminin l’illimité d’une jouissance dans son rapport à A barré. Les amours douloureuses peuvent donc se répartir selon une logique propre à chaque position sexuée ou chaque sexe. À l’un, la douleur circonscrite du symptôme, telle l’effet d’une écharde dans la chair. À l’autre, celle du sans limite du ravage et la dévastation totale. À l’un encore, le désagrément du dédoublement de la vie amoureuse propre à son ravalement. À l’autre, le risque des noces mortifères avec l’incube idéal au-delà du partenaire réel. Mais les amours douloureuses se rapportent aussi bien à la façon dont chaque corps parlant peut rester hermétique à la langue de l’autre. Ainsi, l’affect n’est pas « la voix du corps », son expressivité naturelle, mais signal d’un effet de jouissance corrélé à la marque signifiante. Dans une expérience analytique, on est conduit à mettre l’accent sur l’implication du signifiant dans l’affect, et, selon l’expression de Lacan, soulignée par Miller19, de « vérifier l’affect20 ». Si, dans la plus classique appréhension, il s’agit d’en délivrer la vérité refoulée, dans la conception de l’affection traçante du corps par lalangue, il s’agira d’en isoler la marque traumatique se répercutant sur le malentendu entre les sexes.
Quand dans notre praxis se présentent des amours douloureuses, on les invite alors à se laisser prendre dans le filet des signifiants, afin de faire entrer la jouissance en résonance avec la langue.
Patricia Bosquin Caroz
Notes :
1 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 46.
2 Ibid., p. 53.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, op. cit., p. 115.
4 Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2023, p. 157.
5 Ibid., p. 144.
6 Ibid., p. 157.
7 Ibid., p. 144.
8 Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 526.
9 Miller J.-A., « Les affects dans l’expérience analytique », La Cause du désir, n° 93, 2016, p. 110.
10 Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 311.
11 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 79.
12 Ibid., p. 65.
13 Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 181.
14 Miller J.-A., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière et le Champ freudien, 2013, quatrième de couverture.
15 Freud S., « Psychologie des foules et analyse du moi », Essais de psychanalyse, Paris,
Payot, 1981
16 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 131.
17 Ibid., p. 132.
18 Miller J.-A., L’os d’une cure, Paris, Navarin éditeur, 2018
19 Miller J.-A., « Les affects dans l’expérience analytique », op. cit. p. 101.
20 Lacan J., « Télévision », op. cit., p. 524
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