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Publié le mardi 10 septembre 2024
Université Populaire Jacques-Lacan
IRONIK ! – Septembre 2024
Le bulletin Uforca numéro 60
On va trouver un clinicien pour se plaindre d’un symptôme, plus rarement pour parler de son fantasme. L’un se met bruyamment en travers de la vie, tandis que l’autre se trame en silence. La psychanalyse a pourtant montré que le symptôme ne peut se concevoir sans la dimension du fantasme. Freud l’écrit en 1907, les fantasmes hystériques « se révèlent avoir des relations avec la causation des symptômes hystériques1 ». Le fantasme est lié aux rêveries intimes. Il est refoulé, c’est-à-dire agissant à l’insu du sujet tout en étant en « relation avec la vie sexuelle2 ». Or nous traversons aujourd’hui des temps singuliers. D’une part, se propage l’idée qu’une réalité sexuelle pourrait être débusquée comme vérité ultime. D’autre part, ce qui se dénude dans les arènes sociales et politiques interroge la notion même de refoulement. Pourtant, si les rêveries clandestines ont une petite teinte surannée, la « solution fantasmatique3 », plus que jamais, se trouve au centre de nos recherches cliniques. Elle est à situer dans les impasses rencontrées dans l’appareillage de la jouissance et du signifiant.
Un texte de Freud fait saisir ce qui se joue dans la mise en jeu d’un fantasme. Des patientes lui confient une fantaisie diurne récurrente : « Un enfant est battu4 ». Il décompose les phrases entendues en trois temps. La première et la dernière phrase sont ramenées au souvenir sous une forme consciente : un enfant est battu, fouetté par le père ou par un personnage faisant partie de cette série paternelle. La deuxième phrase est reconstituée dans l’analyse, dévoilant la position inconsciente de la rêveuse : être l’enfant battue, ce qui fait signe d’un désir d’être aimé du père. C’est à cette phrase qu’est attachée la charge libidinale tandis qu’est refoulé ce souhait d’être aimée par le père. Lacan, lui, relit ce texte de Freud en insistant sur le fouet, non pas seulement comme outil de fustigation, mais comme signe « quelque chose qui raye le sujet, qui le barre, qui l’abolit, quelque chose de signifiant5 ». Par conséquent, ce qui « est érotisé comme tel, et ce dès l’origine6 », c’est le symbolique qui opère sur le corps jouissant. L’appareillage du signifiant et de la jouissance est à situer en ce point. Dès lors, cette opération consacre le sujet dans son désir au prix d’une rature, d’une perte7.
Le fantasme accompagne cette perte produite dans l’aliénation signifiante. Là où le symptôme cogne avec brutalité dans le corps, précipitant le sujet dans l’expression d’une souffrance, le fantasme se présente comme une sorte de remède à cette dysharmonie. C’est un « moyen de comblement8 ». La puissance du scénario qu’il impose réside dans ce fait que le « fantasme réussit là où le symptôme échoue, c’est-à-dire à soutirer du plaisir à la jouissance9 ». D’un côté, le fantasme plonge ses racines dans un réel, de l’autre il en bouche l’accès, au prix du maintien d’une position de jouissance qui nourrit l’« aveuglement fantasmatique10 ». L’expérience analytique offre chance de soumettre ce scénario à une élucidation subjective. Peu à peu s’extraient, de ce programme fixe et silencieux, des signifiants qui font coupure et ouvrent sur d’autres possibles. C’est ce que nous appelons construire son fantasme et ce, dans le lieu que les rencontres avec un clinicien ouvrent. Cette pratique de la parole sous transfert, a des effets de remaniement sur ce qui a polarisé une vie, au point d’obturer l’accès, parfois, au sel même de l’existence.
Agnès Vigué Camus
Notes :
1 Freud S., « Les fantaisies hystériques et leur relation à la bisexualité », Œuvres complètes, vol. VIII, 1906-1908, Paris, PUF, 2007, p. 179.
2 Ibid., p. 181.
3 Chiriaco S., Le Désir foudroyé. Sortir du traumatisme par la psychanalyse, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2012, p. 18.
4 Cf. Freud S., « Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 219-243.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 241.
6 Ibid., p. 242.
7 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 112.
8 Horne Reinoso V., « Le passage à l’analyste : de la trajectoire du fantasme à l’acte de séparation », La Cause du désir, n°116, avril 2024, p. 133.
9 Miller J.-A., « Symptôme – Fantasme », La Cause du désir, n°114, juillet 2023, p. 73, disponible sur Cairn.
10 Horne Reinoso V., « Le passage à l’analyste… », op. cit., p. 132.
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