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Publié le lundi 17 juillet 2023
A voir...
Loup y es-tu ?, un film documentaire de Clara Bouffartigue
En salle à partir de septembre

Morgane Production présente
Film documentaire de Clara Bouffartigue, 2022
Synopsis :
Des jeunes, des enfants et leurs parents viennent consulter, souffrance en bandoulière, sous le manteau ou sous la peau, c’est selon.
Au centre médico-psycho-pédagogique, les soignants sont là pour les accompagner en thérapie. Par le jeu, le dialogue, le silence, en famille, en groupe ou individuellement, ils cheminent pour les aider à grandir.
Il était une fois, derrière le symptôme, tapis dans l’ombre, des enfants, des adolescents et des parents qui avaient peur du loup...
Loup y es-tu ?
« J’avais pour objectif que le réel et l’imaginaire s’interpénètrent donc il ne devait pas y avoir de césure entre la matière documentaire qui traitait du réel et la matière animée qui traitait de l’imaginaire. »
Comment est née l’idée du film ?
Ce film est né de ma rencontre avec l’équipe du Centre Claude Bernard qui s’est faite autour de mon précédent film, Tempête sous un crâne. J’ai découvert avec eux un autre regard porté sur l’enfance et sur ses difficultés qui m’a bouleversée. J’ai mis cinq années à réaliser ce film. J’ai d’abord assisté aux réunions des soignants puis je suis allée dans les séances de soin des patients qui acceptaient ma présence. J’ai été frappée par la place faite aux parents, par l’approche de l’enfant dans sa globalité qui prend toujours en considération son environnement. Pour ces professionnels, il est impensable d’accompagner un enfant sans inclure ses parents dans le processus de soin, parce que leur exclusion serait une violence subie par l’enfant, même lorsque les parents sont fragiles ou malades. Quoi qu’il en soit, ils restent les parents et il est indispensable qu’ils soient au cœur du dispositif de soin. Durant mon immersion, les vécus de toutes ces familles venaient souvent me chercher sur quelque chose de très personnel. À ce moment-là, j’ai senti que c’était un lieu extraordinaire pour faire un film de cinéma autour des liens familiaux.
Dans le film, vous ne donnez aucune indication de lieu et vous passez sous silence les raisons de la présence des familles. Pourquoi cette sorte d’anonymat ?
J’ai tout de suite souhaité me placer du côté des éprouvés, tout comme l’approche du soin dont il témoigne. Un enfant qui consulte ne comprend généralement pas pourquoi il se sent mal. Il vient pour se confier dans un cadre sécurisant. C’est un terrain de jeu et d’expérimentation en somme. Je propose aux spectateurs de vivre une expérience tangible qui s’en rapproche, en espérant qu’il en retiendra l’essentiel : l’écoute, la créativité, la patience, la bienveillance, la grande intelligence, l’absence de jugement, la permanence et les possibilités de transformation qu’elles dessinent. Mais pour cela, il était nécessaire que les spectateurs s’identifient aux uns et aux autres, à tour de rôle, enfants, ados, parents, grâce à ce chemin parcouru avec eux. Or, si on avait su dans le film les raisons pour lesquelles les patients consultent, ils seraient immédiatement devenus « des cas spécifiques », « cet autre que je ne suis pas », et l’identification n’aurait pas opéré. Quant au fait de nommer ou non le Centre Claude Bernard, je pense que le CMPP est le lieu du film, pas son sujet. C’est ce qui y est à l’œuvre et qui laisse une place immense à l’imaginaire autour des liens familiaux qui est intéressant.
Comment avez-vous pu filmer chacun dans sa singularité ? Quel était le dispositif de tournage ?
Ma préoccupation centrale était : comment faire pour conjuguer le cadre du soin et le cadre du film sans que l’un ne gêne l’autre et comment faire, pour qu’au contraire, ils deviennent porteurs l’un pour l’autre. Il a fallu des mois d’échanges avec l’équipe du centre Claude Bernard pour inventer le bon dispositif. Il ne s’agit pas comme on le croit trop souvent de faire oublier le filmeur et sa caméra, mais au contraire de lui donner une juste place et d’assumer qu’il en ait une. J’ai donc passé presque un an avec eux en séances de soin avant de commencer à filmer. C’était indispensable pour qu’ils puissent une fois la caméra introduite, relier l’œil qui regarde à travers l’objectif à une personne devenue familière. Comment filmer l’intime sans être voyeur ? C’était le grand défi de ce film. Quand j’ai commencé à filmer les séances de soin, j’étais en quête de leurs émotions et de la manière dont ils sauraient ou non les transformer, ni plus ni moins. Je n’avais pas besoin de filmer des psychothérapies au sens strict du terme, seulement des consultations où les choses se disent par l’intermédiaire du collectif ou du jeu. Il n’était pas question que mon geste porte atteinte à leur intimité. Mais c’était parfois difficile à faire comprendre. Nos liens de confiance ont fait le reste.
Quel est le sens du titre, Loup y es-tu ?
Je voulais un titre qui porte l’enfance en lui et aussi la dimension de jeu. Loup y es-tu ? renvoie immédiatement à la comptine et à tous les jeux autour du loup. Il répondait à cette exigence. Il y a aussi cette idée que, quand on vient consulter, il y a peut-être un loup... Les patients arrivent souvent en pensant qu’il y a une difficulté ponctuelle, un enfant qui a des soucis en mathématiques ou qui s’agite en classe... Ils pensent que la question qui se pose c’est ce symptôme et que, quand on y aura répondu, il va disparaître. Mais ils découvrent vite que les choses sont plus complexes, qu’elles sont en lien avec tout un environnement dont les parents font partie. Ils vont devoir oser s’aventurer pour explorer des émotions, des vécus, des ressentis qui sont parfois très durs pour pouvoir les transformer et s’en libérer. Et puis oui, pour moi, le loup c’est l’inconscient et donc faut-il avoir peur du loup ?
Comment avez-vous envisagé le montage ?
Le tournage s’est étalé sur quinze mois, le montage en a pris six. J’avais établi que la narration du film se ferait en suivant une vague qui est celle que vit la plupart des patients qui poursuivent le travail au Centre. Avec le monteur, Franck Nakache, nous avons trié les séquences par émotion en leur attribuant des couleurs pour dessiner cette vague. Bien sûr, nous avons aussi tenu compte de l’alternance des personnages mais sur un mode pointilliste. Nous avons d’abord travaillé la matière documentaire en laissant la place pour des séquences d’animation.
Le montage intègre de surprenants temps de pause avec ces séquences en salle d’attente... Que cherchiez-vous à capter dans ce temps de l’attente ?
Dans les salles d’attente, on voit des choses incroyables ! C’est quand même là que tout le monde se pose. Une des choses qui m’a le plus fascinée, c’est le nombre de personnes qui s’endorment dans la salle d’attente. C’est une sorte de sas entre la vie réelle à l’extérieur et l’espace de consultation. Il y a ici beaucoup de choses qui remontent de l’enfance que chacun garde en soi. Ce lieu, la salle d’attente, permet aussi de montrer, au-delà de ce qui se dit en séance, tout ce qui se joue dans ce travail.
Au cœur du film, vous animez les lieux, les couloirs, la nuit, en laissant une grande place à l’imaginaire. Comment vous est venue cette idée d’insérer des séquences animées ?
L’intention des soignants est d’offrir - comme au cinéma - une sorte d’écran blanc aux patients qui leur permette de projeter leur imaginaire sur les murs. C’est une image, bien sûr. Imaginer tout ce qui a été projeté et déposé dans ce lieu est vertigineux ! J’ai eu envie de donner vie à ces traces et comme j’aime les histoires de fantômes et de lieux hantés, j’ai imaginé ce lieu la nuit, quand tout le monde est parti. C’est ainsi que ces animations sont nées. Je souhaitais que le réel et l’imaginaire s’interpénètrent donc il ne devait pas y avoir de césure entre le matériel documentaire, dont la matière première est le réel, et la matière animée qui traitait de l’imaginaire. Je les ai écrites à partir d’un premier montage, puis nous les avons tournées et insérées. La séquence d’ouverture avec ce petit garçon qui casse le crayon qu’il a désigné comme étant l’enfant m’a offert l’idée du personnage de ces nuits, un enfant qui porte sa blessure en lui, celle qui fait aussi sa singularité. Il chemine dans ce centre, transformant lui aussi ses désirs, à l’instar des patients qui y consultent.
Comment avez-vous réalisé ces séquences ?
J’ai pris un plaisir fou à réaliser ces animations de façon tout à fait artisanale, tout en revisitant le cinéma de genre. Ce sont vraiment des jouets que j’ai animés avec des trucages à l’ancienne, comme la surimpression. À la Méliès en quelque sorte...
J’ai choisi la magie, le merveilleux, le fantastique qui tient beaucoup à l’utilisation de la lumière. Comme je ne suis ni animatrice, ni cheffe opératrice, j’ai appelé un chef opérateur dont j’aime le travail pour avoir des conseils. Il m’a dit une phrase qui ne m’a jamais quittée : « Éclairer, ce n’est pas rajouter de la lumière, c’est en enlever ». C’était tellement en lien avec ce film, s’intéresser aux ombres pour aller vers la lumière, la révélation par la lumière !
La référence à l’art est récurrente dans le film. Sans être ostentatoire, elle installe un univers sensible et poétique avec les tableaux de Nicolas de Staël, Matisse, Kandinsky, Miro, Chagall... Comment l’esthétique s’inscrit dans la thérapie ?
Les rares décorations qu’on peut trouver dans les salles de consultation sont des toiles reproduites de grands maîtres. Ces tableaux rappellent la nécessité d’un aller-retour permanent entre le réel et la représentation qu’on s’en fait. Avec les enfants, tous ces professionnels travaillent beaucoup avec ce qu’ils appellent des « médiations ». Ce sont des objets de natures différentes, qui peuvent être un livre, une œuvre d’art ou même un exercice de mathématiques. Cet objet transitionnel permet à l’enfant de parler de lui sans avoir le sentiment qu’il s’agit de lui, parce que, plus on a mal, plus il est difficile de regarder la blessure. Le jeu qu’autorise ces médiations permet à l’enfant de s’exprimer tout en le protégeant. Les œuvres d’art remplissent exactement la même fonction dans nos vies et dans le film.
Vous allez à la rencontre de la souffrance, de l’altérité et du soin réparateur, définiriez-vous votre film contre un manifeste humaniste ?
En faisant ce film, j’avais à cœur de défendre une approche très humaine du soin. Elle est aujourd’hui profondément menacée par l’orientation de notre société, gouvernée par des logiques de rentabilité et d’évaluation qui vont à l’encontre des liens humains, des liens sociaux, des liens de pensées. Or la « culture du lien » est justement l’essence de cette manière de soigner et il est illusoire d’évaluer le travail des soignants et ses effets cliniques selon les grilles en vigueur... Quant au processus d’accompagnement, il tient aussi au temps et aux moyens qu’on lui accorde. Nombre d’institutions sont aujourd’hui en grande difficulté, d’autres ont été fermées alors que les besoins augmentent et que l’offre ne suffit pas à répondre aux souffrances d’une jeunesse qui a besoin d’aide. Cette désinstitutionnalisation en marche s’inscrit dans la droite ligne de la politique menée dans les services publics. Dans ce contexte, le Centre Claude Bernard résiste bien. Immortaliser dans le film l’approche du soin qui y est dispensé, c’était faire le choix de mettre en lumière la valeur et les possibles de ce qui est à l’œuvre dans ces institutions et de ce qui est en jeu politiquement. Alors oui, je vois Loup y es-tu ? comme un manifeste. Un manifeste pour les soignants mais aussi pour chacun de nous parce qu’il tente de déstigmatiser l’image qu’on peut
avoir du soin psychique qui véhicule encore beaucoup de clichés, de fantasmes et de craintes. Et puis il y a une tendance aujourd’hui à diviser, qui ne se limite pas au monde du soin. Pourquoi faudrait-il choisir entre une approche qui tienne compte du psychisme et une approche qui tienne compte de tout ce qui est neuro-comportemental ? Loup y es-tu ? défend une approche qui met la personne au centre du soin et non pas le symptôme. C’est peut-être ma manière de faire des films politiques qui n’ont pourtant pas la forme de films militants.
Clara Bouffartigue est née en 1976, à Auch dans une famille d’enseignants.
Elle sort diplômée de La Sorbonne en 1998, titulaire d’une Maîtrise en scénario. Elle se forme au montage et collabore pendant plusieurs années à des longs-métrages cinéma de fiction. Elle se tourne ensuite vers l’écriture et la réalisation et signe, avant Loup y es-tu ?, plusieurs documentaires pour le grand écran, Quelques-uns d’entre nous en 2006 et Tempête sous un crâne en 2012.
« Ce film est une véritable réussite. Nous sommes d’entrée de jeu propulsés dans le monde sensoriel de l’enfance et du jeu, entrainés parmi les jouets et les animations, bousculés par les danses colorées et chatoyantes du rêve et des rires, subjugués par les scènes de théâtre des existences humaines, de leurs passions et de leurs angoisses. Nous sommes chahutés par le chaos des complicités comme des bouderies crispées de l’adolescence, par les vagues de tendresse impertinente des enfants requérant la présence authentique des adultes qu’ils aiment, jusque, parfois, la tragédie. Sans oublier les tableaux des couples parentaux, magnifiquement empêtrés dans leurs doutes, leurs incertitudes, et cette volonté de bien faire qui n’empêche pas d’aimer. Authentique, vif, chaleureux, ce film nous conduit jusqu’aux rivages des rythmes et des couleurs originaires, exigeant de ses spectateurs la nécessité d’être là. Nous voyageons dans les salles d’attente, les bureaux des soignants, au milieu des solitudes et des colloques, des réunions de travail des psy aussi, nous sommes là, dans le partage et l’empathie.
Clara Bouffartigue prend soin de nous comme elle restitue le soin aux enfants et des enfants. Tout le monde prend soin dans ce film, quelle que soit sa place et sa fonction. Clara Bouffartigue prend soin par le cinéma, par la sensorialité des images et la chair des mots, elle se fait syntaxe, vecteur d’un texte écrit par tous ceux qui fréquentent ce Centre médico-psychopédagogique, le Centre Claude Bernard à Paris. Elle évite le surplomb de ces films à thèse, ces « navets » qui réifient les « acteurs » comme des marchandises ou les dégradent comme des maladroits incompétents. Elle prend soin des psy et des parents, elle les rend sympathiques, humains et vulnérables comme les vrais artistes quand ils sont traversés par la vie, ses bonheurs simples, ses désespoirs et ses angoisses, mis en musique par les rires, les danses, les jeux, les théâtres du quotidien. Là une mère et sa fille font la « paire » des éclats de leurs rires et de leur complicité. Là un adolescent est porté au-delà des brumes de la dépression vers le rayon de soleil des complicités de groupe. Là encore, on admire la pudeur des soignants qui mettent en « contes » et en histoires le vif des relations accomplies avec ceux qu’ils soignent et avec lesquels ils se soignent. On joue, on joue avec les concepts et les affects, sans cette arrogance pesante et ridicule des « sachants ». Ici, on joue, on rêve, on imagine, bref on fait du bruit qui devient parole, à distance des dogmes stériles et mortifères, à distance aussi des
impostures scientistes qui réduisent l’âme humaine à des « troubles neuro-
développementaux » et autres fadaises.
Non, dans ce film tout est jouet, poupées, couleurs, chaleur, parole en train de prendre forme. Je pense à Goethe : « Le plus élevé dans l’homme est sans forme, et l’on peut se garder de la former autrement que dans l’acte noble ».
C’est vrai qu’il y a de la noblesse dans le soin de l’« attention » portée à soi-même et à autrui, cette « prière de l’âme » dont parlait Simone Veil. Pas de camelote ici avec des grilles et des items, des chiffres et des êtres dont ils justifiraient le désoeuvrement, l’abandon de la relation.
J’adore dans le montage du film l’hybridation où se mêlent la fiction, le documentaire et le film d’animation. Empathique et authentique ce film montre ce qu’il raconte : le jeu est une chose sérieuse que les esprits chagrins confondent avec l’inutile et dont ils ne se rendent pas compte qu’inutile, la fiction appartient au registre de l’essentiel. C’est ce rendu du geste de l’enfant qui produit cet effet dont parlait Walter Benjamin, « effet vraiment révolutionnaire, c’est le signal secret de la réalité à venir qui parle depuis le geste de l’enfant. »
Roland Gori est professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille et psychanalyste. Il a été en 2009 l’initiateur de l’Appel des appels dont il est l’actuel président. Il est l’auteur de nombreux essais publiés chez Les liens qui libèrent.
En salle à partir de septembre
Sortie nationale le 13 septembre 2023
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