Publié le mardi 29 novembre 2022

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – Novembre 2022

Le bulletin Uforca numéro 52

Le champ clinique contemporain est envahi par une idéologie qui, au nom de la biologie neuronale tend vers une « naturalisation de tout le champ humain¹ ». Tandis que les professionnels sont soumis à une exigence de conformité via divers protocoles, on assiste, dans le même mouvement, à un recouvrement du champ clinique par l’image : imagerie cérébrale, représentations sophistiquées de la plasticité neuronale, mythe d’un cerveau dont on pourrait saisir in vivo la capacité de se reconfigurer à l’infini.

Lacan a fait cas de ce qui allait devenir « l’imaginaire » dans la présentation qu’il a faite en 1936 de son « Stade du miroir² » ; il l’a distingué du symbolique et du réel, et ces trois registres ont couru tout au long de son enseignement, faisant l’objet de différentes lectures puis de nouages. Aujourd’hui nous assistons à un retour de la clinique du regard et à une domination des images, telle que le symbolique « est comme asservi à l’imaginaire, comme en continuité avec lui³ ».

Alors que la subjectivité contemporaine tente de résorber le réel dans l’image, celui-ci déborde et s’impose dans la clinique : passages à l’acte énigmatiques, impuissance proclamée dans le champ de la psychopathologie où de vaines tentatives pour nommer les actes, ou les réduire par la prévision, s’apparentent à de la sociologie plutôt qu’à de la clinique⁴. La formation des cliniciens telle qu’elle est aujourd’hui éclaire cette difficulté : surtout, elle met en cause la perte de repères pour s’orienter⁵. De fait, les classes nosographiques qui, forgées au début du siècle dernier, structuraient la nomenclature psychiatrique, ont fait long feu. Dans un mouvement de civilisation aperçu par Foucault, ces catégories ont éclaté au moment où, à l’ancien projet clinique de description des maladies du corps social, s’est substitué un vaste programme de gestion des populations⁶, mis en place aux États-Unis, puis en Europe à partir des années 2000. La refondation de la médecine sur l’Evidence Based Medicine (EBM) a connu des crises successives ; aujourd’hui elle accueille le paradigme neuro, et ne le contient pas : il déborde et s’impose dans le champ psy, comme l’image fascinante d’une transparence de soi à soi.

L’image a le pouvoir de générer des illusions ; l’éthologie en témoigne, la phénoménologie aussi. La clinique lacanienne n’apporte pas à celle-ci un démenti, mais une limite, car elle s’oriente d’une éthique qui ne se réduit pas plus à la simple observation des « faits » qu’à la défense d’un système de valeurs. Son socle est une expérience, celle du clinicien lui-même, qui occupe dans le dispositif clinique une place où il y met, le sachant ou non, du sien : n’est-ce pas, déjà, son image même qui, dans le dispositif de la consultation, fait trou dans les représentations ? Autant dire qu’il s’agit, depuis Freud et avec lui, d’une éthique nouvelle : « La question éthique, pour autant que la position de Freud nous y fait faire un progrès, s’articule, d’une orientation du repérage de l’homme par rapport au réel⁷. »

Repérer un réel qui se dérobe à l’image, tel est le désir du clinicien formé à se faufiler entre des chimères opaques et des illusions structurantes pour faire coupure dans l’imaginaire du mental qui tend à absorber tout le champ dit psy.

Parions que les cliniciens, orientés par la psychanalyse, sauront faire surgir une envie renouvelée et garder, chevillé au corps, le désir d’une clinique éthique. Gageons que celle-ci pourra se frayer un passage parmi les méandres tortueux du paysage contemporain et cheminer dans les profondeurs du goût.

Vous voulez savoir pourquoi ? Parce qu’un savoir s’accumule en silence dans les Sections cliniques, un savoir dont les productions concernent l’époque, au plus près de ce qui la traverse. Car ce qui s’y dénude, à bas bruit, c’est la jouissance à la racine des discours.

Agnès Vigné Camus

Notes :
¹ Castanet H., Neurologie versus psychanalyse, Paris, Navarin, 2022, p. 9.
² Lacan J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 93-100.
³ Miller J.-A., « Vers le réel », in Miller J.-A. (s/dir.), Comment s’orienter dans la clinique, Paris, Le Champ freudien, 2018, p. 15.
⁴ Cf. Laurent D., « La constance du passage à l’acte et la crise des noms », Lacan Quotidien, no 415, 9 juillet 2014, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr).
⁵ Cf. notamment Blond M.-H., « Étude sur les difficultés actuelles du métier de psychiatre hospitalier français. De la flamme au burn-out », L’Information psychiatrique, vol. 92, octobre 2016, p. 625-639.
⁶ Cf. Laurent É., « La crise post-DSM et la psychanalyse à l’âge numérique », La Cause du désir, no 87, juin 2014, p. 146-166, disponible sur Cairn.
⁷ Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 21.

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L’affirmation de la causalité neurologique : une extrapolation de résultats scientifiques au service d’un rêve du cerveau comme objet re-conditionnable. Lire la suite

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Aux origines de la jouissance, une expérience de satisfaction autre qui situe la pulsion du côté de la Chose. Lire la suite


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Les concepts fondamentaux de la psychanalyse... et les autres

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