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Publié le lundi 9 novembre 2020

Université Populaire Jacques-Lacan

IRONIK ! – Novembre 2020

Le bulletin Uforca numéro 43




 {LE RIRE d'EOLE}


La jouissance : horizons et tourbillons


Il y a la jouissance dont on connaît la trajectoire, ou celle qui n’a ni début ni fin, ni avant ni après ; la jouissance qui s’accroche à l’homme ou celle qui est sans attache ; celle qui se dit, celle qui se tait, celle qui a un lieu, celle qui s’engendre sans cesse. Celle qui s’éprouve dans l’isolement et le silence, celle qui bruisse. Celle qui est drainée par le phallus et celle qui n’y est pas toute.
Plus ou moins étrange, toujours étrangère.
En ligne continue, en droite brisée ou bien en tourbillons incessants.

La jouissance, dans l’enseignement de Lacan, a bien des noms qui l’accompagnent. Et puisque le réel ne se dit pas, usons du dessin pour essayer d’en attraper un bout : prenons une feuille et un crayon et dessinons une ligne droite, un cercle ouvert ou bien fermé, pour tenter de distinguer la jouissance infinie de la jouissance absolue, la jouissance œdipienne de la jouissance Autre.

De ces quatre occurrences, la jouissance absolue est la plus lointaine. Elle est ce point en dehors du cercle, ce trophée visé. Elle est « hors système1 », et comme « elle n’est nulle part symbolisée, ni, non plus, symbolisable », elle est tout à fait réelle2.

L’hystérique, elle, tente de la faire passer par la concaténation du phallus. Si son regard se tourne pour faire exister, à chacune de ses quêtes, cet Autre absolu qu’elle préfère aux effets relatifs, c’est pour lui donner consistance. Et c’est justement parce que cette jouissance absolue est inatteignable, c’est justement parce qu’elle « ne peut être atteinte qu’elle en refuse toute autre, qui, au regard de ce rapport absolu qu’il s’agit pour elle de poser, aurait un caractère de diminution3 ». En d’autres termes : presque toute entière tournée vers cet absolu, elle guette ce qui pourrait demeurer en dehors de la loi phallique, le père mythique, La femme qui n’existe pas. Pourtant, en visant ce qui ferait exception à la loi phallique, en incarnant ce refus donc, elle fait exister le phallus tout aussi bien. Brillance et décadence du phallus.

La jouissance absolue et la jouissance infinie sont-elles pour autant équivalentes ?
Si la jouissance absolue est ce point en dehors du cercle, la jouissance infinie peut être : soit représentée sur une ligne droite qui ne s’arrête jamais, soit sur un cercle. C’est ce que Lacan dit dans le Séminaire XXIII : « Qu’une droite coupée soit assurément finie, comme ayant des limites, ne dit pas pour autant qu’une droite infinie soit sans limite […] elle peut être supposée avoir ce qu’on appelle un point à l’infini, c’est-à-dire faire cercle4 ».
Viser l’infini évite toute jouissance relative, toute diminution ; le phallus reste intact. Ce n’est pas tant que l’hystérique refoule la jouissance sexuelle nous dit Lacan5, c’est qu’elle « promeut le point à l’infini de la jouissance comme absolue ». Il y a, dans la fonction Phi de x [Φx], une jouissance qui est « de l’ordre de l’infini6 ».
La jouissance infinie n’est pas sans limites, puisqu’elle s’intéresse de près au phallus ; pour autant le cercle dont elle s’éprend peut faire tourbillon.

Quant à la jouissance Autre ou jouissance féminine, qui est « conçue comme principe de la jouissance comme telle », elle a « des affinités avec l’infini7 », mais pas les mêmes. Dans son cours, Jacques-Alain Miller en donne un exemple : « quelqu’une me faisait part hier [d’un rêve] : un geyser tourbillonnant, effervescent de vie inépuisable qui lui était apparu comme ce […] à quoi elle avait toujours cherché à s’égaler8 ».
Voilà le tourbillon qui ne s’arrête jamais, celui qui pourrait bien faire voler en éclat les lignes droites.
Le tourbillon ne suit pas un sens, il ne va pas d’un point A à un point B, même si ce point B se situe dans un horizon inatteignable. Il va dans tous les sens, il est sans limites. Il fait pressentir ce que peut être la jouissance illimitée, épisodique pour certain(e)s, répétitive pour d’autres.

C’est là où la jouissance féminine peut avoir des airs de famille avec l’illimité, mais pas toute, « l’étrangeté d’une jouissance habitant le corps dont les effets d’illimitation sont prescrits par le pas-tout9 ».
Cette jouissance Autre, conçue comme événement de corps, questionne le corps, son image, son réel. Cette jouissance indicible n’est pas hors corps explique J.-A. Miller dans L’Os d’une cure, elle est dans le corps mais dans un corps qui « ne fait pas un tout, n’a pas son unité […] dans la jouissance, le corps féminin lui-même est autrifié10 ».

Si les tourbillons adviennent dans un corps aux limites floues, l’horizon se regarde, dans un corps bien campé. Tantôt hystérique, tantôt femme, aux prises avec ces variations de jouissance, une femme suit – un peu, beaucoup, passionnément ‒ le mouvement de balancier entre les deux jouissances, qui est celui des flèches des formules de la sexuation. Cette fois-ci, suivons une cadence : celle des textes d’Ironik !

Pénélope Fay

Note :
1 Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 320.
2 Ibid., p. 321.
3 Ibid., p. 335.
4 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 136-137.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, op. cit., p. 335.
6 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 94.
7 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-Tout-Seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 2 mars 2011, inédit.
8 Ibid.
9 Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 76.
10 Ibid.

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Avant-goût



Effets de jouissance


Frigide ! Plainte ou reproche, le signifiant de la frigidité désigne, pour une femme, l’absence de plaisir sexuel. Pas de jouissance ? Longtemps évoquée sur les divans, souvent corrélée à la querelle du phallus, dorénavant, la frigidité n’est que peu parlée sur les divans contemporains. Jean-Pierre Deffieux nous entraîne sur les traces de la « prétendue frigidité », dixit Lacan. Elle commence au temps de Freud et du Penisneid, traverse les ans et reste un point de butée que Freud qualifiera en 1934 de tantôt « psychologique, constitutive, anatomique ».

Marie Laurent propose de questionner « la femme et au-delà » à partir de la lecture des « Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine ». Elle déploie pour nous la lecture de Lacan qui logifie « la stratégie hystérique pour se défendre de la jouissance féminine ». Appuyant son propos sur des cas cliniques célèbres, de littératures, de cinéma et de témoignages d’AE, Marie Laurent nous rend sensibles à la poétique de l’incube idéal comme au rapport privilégié de la féminité avec la pulsion de mort.

Mais, ne nous y trompons pas, aucun des articles proposés ne saura répondre aux questions concernant le savoir-faire entre les sexes. « La psychanalyse n’est pas une érotique », nous rappelle Bernard Porcheret. Entre savoir et jouissance il y a une béance ; Freud la nomme symptôme. À rebrousse-poil d’un enseignement sur la jouissance, l’auteur nous invite au coeur du Séminaire D’un Autre à l’autre. La balade s’y fera en compagnie de Jacques-Alain Miller, guide averti. Comment répondre aux impasses de la jouissance ? Quelle est son incidence au lieu de l’Autre et dans la cure ?

Patricia Loubet nous propose une autre ballade : retour au temps des chevaliers et de L’amour courtois. Pourquoi s’y intéresser dans une série consacrée à la jouissance ? L’auteure répond, citant Lacan : « suppléer à l’absence de rapport sexuel en feignant que c’est nous qui y mettons obstacle. C’est vraiment la chose la plus formidable qu’on ait jamais tentée » La feinte amoureuse prend appui sur la poésie ambassadrice de l’amour.

Et puis, connaissez-vous la jeune homosexuelle ? Avec la rubrique L’amour est une marguerite, Vanessa Sudreau nous invite à redécouvrir celle envers qui la psychanalyse à « une dette qui dure ». Que nous dit son amour pour Léonie et son passage à l’acte ? Version moderne de l’Amor courtois ? Ravage de femme ?

Enfin, en attendant de pouvoir se refaire une toile, Camilo Ramirez nous invite à découvrir une nouvelle rubrique Séance. Il nous propose une lecture du Jeune Ahmed, le dernier film des frères Dardenne qui nous plonge dans l’actualité ô combien brûlante de la radicalisation. Ahmed rencontre un discours, une cause qui vient recouvrir une certaine horreur de la jouissance féminine. L’auteur en déploie les coordonnées : focus sur un « appareillage singulier de l’économie de jouissance du corps parlant ».

Dominique Szulzynger

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<span style="color:#FFA500;">TRAVAUX D'UFORCA</span>


A LA UNE


La « prétendue frigidité »
Jean-Pierre Deffieux, Section clinique de Bordeaux

Abordée sous l’angle du Tout, la frigidité prend la couleur du manque, manque de plaisir, de jouissance, d’organe aussi bien. Elle se situe alors comme déficit, dans le sillage de la querelle du phallus, dès lors que le phallus est envisagé dans sa dimension imaginaire. Envisagée sur fond de pas-tout, elle n’est plus seulement présence ou manque d’orgasme, mais peut être située au-delà du refus ou du manque. L’Autre jouissance - sans éteindre la dimension possiblement symptomatique de la frigidité pour une femme - peut aussi permettre d’envisager la question de la jouissance, des jouissances autrement qu’à l’aune du seul orgasme. C’est un texte très novateur et subversif que nous propose J.-P. Deffieux. Lire la suite


NOS DERNIERES PUBLICATIONS


La femme et au-delà
Marie Laurent, Section clinique de Bordeaux

Comment une femme se défend-elle de la jouissance féminine ? Pourquoi choisit-elle de jouir de la privation ? Cette assomption de la privation peut prendre différentes formes comme l’attente infinie de l’absent, la jouissance de l’objet rien ou l’adoration d’un incube idéal. M. Laurent nous l’illustre et nous éclaire sur le rapport privilégié entre la féminité et la pulsion de mort. Lire la suite

La jouissance : son réel
Bernard Porcheret, Section clinique de Nantes

Dans le Séminaire, D’un Autre à l’autre, Lacan tend à faire de la jouissance une fonction en lui donnant une structure logique et en prenant appui sur la clinique. Dans le choix de la névrose, c’est le rapport du savoir et de la jouissance qui est interrogé, comment s’articule l’incidence de la jouissance dans et par rapport au lieu de l’Autre : tel est le fil déplié par Bernard Porcheret. Lire la suite

Raffinement et modernité de l’amour courtois
Patricia Loubet, Section clinique de Toulouse

« La fin’amour ». L’amour courtois est une conception de l’amour d’un homme pour une femme née au Moyen Âge avec les troubadours. De cet amour courtois, aussi appelé « la fin’amour » se mêlent passion et désespoir, plaisir et souffrance où l’amant doit en passer par le jaillissement de la trouvaille poétique pour jouir de la Dame. Patricia Loubet nous transporte dans une balade médiévale pour nous proposer une élaboration lacanienne de la feinte de l’amour courtois et ses affinités à la jouissance. Lire la suite


<span style="color:#FFA500;">LIRE AVEC...</span>


Il s’agit de lire avec Lacan les expressions du discours contemporain. Et de lire Lacan avec, comme points d’interrogation, ces déclinaisons.

SEANCE


Une glaçante conviction -
À propos du Jeune Ahmed

Camilo Ramirez

À l’heure où la laïcité, la liberté d’expression et de penser sont à défendre, C. Ramirez analyse le fanatisme inébranlable du jeune Ahmed dans le dernier film des frères Dardenne. Les réalisateurs donnent peu de clés sur l’insondable et solitaire décision d’Ahmed : une angoisse transformée en haine face à la jouissance féminine, la vénération d’un cousin martyr, l’impact du discours de l’imam sur un jeune sujet en quête de pureté. Ils montrent surtout l’échec de son entourage, des rencontres à le dévier de son obsession meurtrière. Ils mettent en lumière ainsi qu’il y a d’abord un appareillage singulier de l’économie de jouissance du corps parlant. Lire la suite

L'AMOUR EST UNE MARGUERITE


Une ironie de l’amour
Vanessa Sudreau

Cette lecture du cas de La jeune homosexuelle situe la position de la jeune fille de l’amour au ravage, et retour. L’article de Freud gagnera à être lu après les textes de Marie Laurent et de Patricia Loubet, dans ce même numéro d’Ironik ! La liaison inconsciente de la jeune fille, troubadour autant qu’Antigone, confrontent le lecteur à la question de l’éthique et du symptôme : La jeune homosexuelle, éthique de l’obstacle ou sacrifice du désir ? Lire la suite


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