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Publié le dimanche 28 août 2016

APRÈS la Journée du 11 juin « Enfants singuliers, Institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique. Qu’en dit la psychanalyse ? »

La Main à l’Oreille, plus vivante que jamais

Une interview de Mariana Alba de Luna, psychanalyste, interrogée par Marie-Hélène Doguet

A la suite de la Journée du 11 juin « Enfants singuliers, institutions dérangées. Les nouveaux spectres de la clinique : Qu’en dit la psychanalyse ? », Marie-Hélène Doguet, Déléguée régionale de l’ACF-Normandie, interroge Mariana Alba de Luna, psychanalyste, au sujet de l’association La Main à l’Oreille.


Marie-Hélène Doguet : Tu as fait partie des fondateurs de l’association La Main à l’Oreille de parents, amis et personnes autistes, peux-tu rappeler à nos lecteurs dans quel contexte cette initiative a été prise et quels échos elle a rencontré ?

Mariana Alba de Luna : La Main à l’Oreille (LaMàO) est une association créée en aout 2012. Mireille Battut, maman d’un enfant autiste et moi-même, sœur d’une jeune femme autiste, nous sommes rencontrées tout d’abord par une belle contingence d’écriture sur Lacan Quotidien en 2012. La « Bataille de l’autisme » ne faisait que commencer et la Conférence au Lutécia, organisée par l’ECF, allait avoir lieu à Paris. En lisant nos textes sur Lacan Quotidien (n° 167 et n° 169), sans nous connaître et sans le savoir, nous venions de poser les prémices d’une belle rencontre et de l’expérience commune, mais si singulière, de l’utilité publique du témoignage de nos parcours. Nous avions toutes deux fait l’expérience d’une analyse, et savions tout d’abord à quoi cela nous avait servi pour comprendre au mieux les effets de l’autisme d’un autre sur nos vies, et comment la psychanalyse nous avait aidées à mieux comprendre notre position et les personnes autistes avec qui nous partageons notre vie. Cela fut – et l’est encore – précieux.

C’était certes de l’ordre du privé, mais quelque chose de ce qui arrivait en France nous poussa à en témoigner ouvertement. A ces débuts, nous cherchions comment nous placer, comment utiliser ce savoir acquis et la conviction, toujours actuelle, qu’on pouvait faire autrement qu’en s’intéressant seulement au comportement et la normalisation de la personne autiste. Depuis, nous avons cheminé ensemble et rencontré d’autres parents qui, comme nous, voulaient défendre une autre approche de l’autisme que celle promue par la science et le lobbying français qui se mettait en place avec rage et chose inouïe… avec l’appui du gouvernement.

Nous avons donc posé les premières pierres d’une expérience qui de deux, est devenue collective. Ces contingences modifièrent nos premières positions. L’expérience même, de faire association, nous transforme continuellement un par un. A chaque pas, un nouveau savoir est extrait avec ses conséquences. Notre association est donc avant tout une association de parents, familles, amis et personnes autistes qui a pour objectif de promouvoir une approche qui prenne en compte leur subjectivité et accueille leurs inventions et les nôtres. Depuis, nous continuons à provoquer des ouvertures nouvelles en allant par France et Navarre et au-delà (car nous le valons bien…), à la rencontre d’autres parents qui comme nous, veulent ne pas oublier la richesse de la différence de nos enfants, nos frères, nos sœurs, nos petits-enfants, nos amis. Comme je l’évoquais dans l’article paru dans votre très belle revue, Letterina n° 65, LaMàO est née lors des moments critiques. Un peu après que en France l’autisme ait-été déclaré « Grande cause nationale ». Pour La Main à l’Oreille, très rapidement nous est apparu qu’il fallait décompléter ce « tous les parents » qui de fait et sans concertation aucune, voulait s’ériger en maître pensant de la normalité en matière d’autisme.
Nous n’avons pas voulu rester dans le silence écrasant à l’ombre tombale de cette « majorité » criante. Nous avons accepté tout d’abord d’incarner la force de la « minorité ». Être ce petit grain fort utile, qui enraye la machine de la normalisation. Et nous continuons chaque jour ce travail des Titans du quotidien.

Nous n’avons pas de théorie de l’autisme. Nous avons rencontré l’autisme, et l’autisme nous a rencontrés. Cette collision a produit en nous ce que produit l’amour : affolement, emballement, sidération, frayeur, vertige, et nous a transformés à jamais, ceux de nous que l’on dit autistes, et ceux que l’on ne dit pas.
Nous n’avons pas de théorie de l’autisme. Nous avons rencontré l’autisme en tant qu’assignation. Pour la science. Pour l’administration. Pour l’éducation nationale… Mais pour nous ? C’est notre enfant, notre soeur, notre frère, notre prochain si radicalement différent et si semblable, que nous voulons rencontrer. Notre enfant, avec, ou sans autisme. Nous ne voulons pas plus vaincre l’autisme que nous ne souhaitons vaincre l’amour. Un amour qui ne serait qu’inquiétude du futur manquerait le présent des petites choses. Nous n’avons pas de théorie de l’autisme, mais nous avons une pratique : notre pratique c’est l’invention.
Avoir ce « nous » à disposition chaque jour que besoin y est, est une force, une conviction.

Les échos de notre proposition première de rencontre et du partage de l’expérience avec l’autisme, ont été intenses, immenses et inestimables. Notre expérience se modifie et évolue chaque année et nous continuons de nous laisser enseigner par cela, par la surprise et l’imprévu. Beaucoup d’autres parents nous ont rejoint – mais ce n’est pas le nombre qui compte pour nous, plutôt la force de chaque rencontre, une par une. Ce fut le cas de notre rencontre avec Aurore Cahon, Philippe Lemercier, Marie-Hélène Pottier et Marie-Annick Dion-Guillemot qui ont crée avec nous l’Antenne Normande de LaMàO, l’Antenne Camembert comme-ils disent !

Marie-Hélène Doguet : Depuis cette création, vous avez cheminé et travaillé. Quels sont les axes que vous avez choisi de soutenir ? Quelles sont les surprises qui t’ont marquée ?

Mariana Alba de Luna : Nous avons choisi de soutenir ce que les enfants et jeunes adultes, membres aussi de notre association, nous ont indiqué comme nécessaire pour eux. Ce dont ils ont le plus besoin, c’est de reconnaissance et du lien social. Ils nous l’ont fait savoir. Nous le savions intuitivement, mais ils continuent à nous apprendre chaque jour la manière d’y parvenir. La manière unique et singulière de le mettre en acte avec eux. C’est ce que nous favorisons en priorité par les événements que nous organisons régulièrement. « Les enfants de LaMàO » – comme Mahé, enfant autiste-aRtiste et poète des mots de notre association les a baptisés, lui inclus – nous apprennent à nous, parents et professionnels et amis, qu’un lieu d’adresse pour leurs inventions leur est nécessaire, précieux pour pouvoir partager la vision qu’ils ont du monde avec nous. Ils rompent cette croyance que les autistes n’ont aucun besoin d’un autre, qu’ils veulent rester enfermés dans leur boule derrière une forteresse. Si on trouve la manière de les rejoindre en les respectant, ils ouvrent leurs mondes remplis d’inventions extraordinaires à ceux qui s’y intéressent et qui n’exigent d’eux tant de renoncements pour plaire à la normalité.

Leurs créations autistiques, que nous avons choisi de soutenir au quotidien et lors de nos expositions et autres événements, font discours pour eux et pour nous aussi. Elles ne sont pas « des oeuvres à exposer », ce sont des « nécessités » à recevoir. Cela veut dire pour moi qu’il y a eu un renversement inattendu. Maintenant l’association appartient surtout aux autistes qui en font partie, et non plus aux parents. D’une certaine manière, c’était logique, mais il fallait permettre que cela se produise. Que nous nous laissions destituer de ce pouvoir d’avoir « créé pour » car cet acte fondateur, ce fut déjà modifié, interprété par eux. Je leur suis aussi très reconnaissante.

Au départ, les parents que nous avons retrouvés un peu partout, ont trouvé à LaMàO un espace de parole, ensuite un lieu refuge et de partage. Cela face aux attaques très virulentes et culpabilisantes dont certains étaient l’objet de la part d’autres parents qui ne pouvaient pas supporter que leur certitude d’avoir trouvé LA solution UNIQUE à l’autisme, soit mise en cause par leur position autre. Cela fit violence pour les uns et pour les autres. Que nous continuions à garder les psychanalystes comme partenaires de nos inventions et discours partagés, que nous persistions à vouloir préserver, comme aujourd’hui, la possibilité de la rencontre avec eux et avec d’autres professionnels et chercheurs ouverts au dialogue, cela leur est insupportable. Leur perplexité nous étonne, parfois nous dépasse, mais nous respectons leurs souffrances et impasses autant que les nôtres. Nous avons aussi fait nos choix. Nous les assumons ouvertement. Aucune haine ne nous fera changer de cap, aucune.

J’ai constaté qu’une fois que les parents que nous avons rencontrés trouvaient un mode de pacification à leur souffrance de cet inattendu que leur enfant autiste a ouvert dans leurs existences – comme le fut aussi pour moi –, ils peuvent faire un petit pas en arrière et laisser la place aux demandes de leurs enfants. De cette nouvelle position, ils peuvent alors se réinventer et continuer à oeuvrer pour eux, sans avoir autant besoin de faire valoir leurs premières revendications.

C’est eux, les enfants de LaMàO qui nous ont montré l’orientation à poursuivre pour ne pas nous éloigner de l’objectif premier de notre association, qui est celui de l’accueil de l’invention et de l’expérience de la citoyenneté renouvelée. Ça, c’est une des belles surprises qui m’ont marquée dernièrement. Cela vérifie pour moi la raison d’exister comme association et d’avoir créé ce cadre qu’est devenu pour eux LaMàO. Dans ce sens, mon action au sein de l’association est celle de continuer à être une bordure, un cadre vide en attente de loger un inattendu. En tant que trésorière et Chargée Culturelle de LaMàO, je me suis donné la tâche et l’exigence d’être une provocatrice de rencontres pour eux, pour leurs parents et pour moi-même, pour que nous puissions tous ensemble continuer à nous inventer à notre manière. Être un « enfant de LaMàO » parait pour nous tous désigner le lieu d’un refuge et d’un possible.

Un autre des axes importants de notre action est au niveau politique. Enseignés et orientés par les effets de nos trois premières années et de ce que je viens d’évoquer brièvement, nous allons continuer à faire entendre notre voix dans les instances gouvernementales qui décident et orientent la politique de l’autisme dans notre pays. Nous ne fléchirons pas. Le Président Hollande, lors de son discours le 19 mai à l’Elysée, lors de la Conférence Nationale du Handicap, et sûrement après avoir reçu l’« Appel de 111 parents », qu’avec le RAAHP nous lui avions adressé publiquement, a énoncé un souhait de rassemblement autour des politiques de l’autisme. Nous nous en réjouissons. Ses mots nous ont semblé justes. Il dit vouloir adopter un 4e Plan autisme, je le cite : « qui sera celui de l’apaisement et du rassemblement. » Et il poursuit en disant : « Parce que nous devons avoir toutes les réponses et les réponses les plus adaptées, sans préjugés et sans volonté d’imposer une solution plutôt qu’une autre. » Ce passage du discours constitue un infléchissement notable dans la politique de l’autisme en France. Pour la première fois depuis des années il y a une reconnaissance officielle de la nécessité du pluralisme, de parcours diversifiés et d’apaisement. Reste à traduire ces bonnes intentions en actes ! Pour que, comme dit Patrick Sadoun, président du RAAHP : « le mot autisme rime avec pluralisme”.

Nous savons ce que nous défendons, telle est notre force et conviction. Beaucoup de combats restent à mener. Nous nous y employons.

Marie-Hélène Doguet : Le 2 Avril dernier, dans le cadre de la Journée internationale de l’autisme, vous avez organisé votre propre journée internationale de l’autisme « Faire avec... au désir de la rencontre ». Votre argument de présentation indique qu’elle était le fruit et le témoignage des rencontres au sein d’un groupe de travail parents-professionnels depuis deux ans. Qu’est-ce tu aurais envie de nous dire sur ces rencontres ?

Mariana Alba de Luna : Ce fut une journée inoubliable car les enfants et jeunes autistes accueillis nous ont à nouveau donné le la ! Nous avons voulu être subversifs et pour cela nous avions imaginé, avec tous les organisateurs, une journée conviviale, artistique et de partage d’expériences. Une journée de l’autisme avec les autistes, dans un lieu unique comme est celui des Chapiteaux Turbulents, ESAT et SAS unique dans son genre, qui accueille des jeunes adultes autistes qui se forment aux métiers des arts vivants, restauration, couture et informatique. Les Turbulents nous ont offert pour cela le cadre idéal. Le matin, nous avons pu discuter des choses essentielles autour du diagnostic et de la rencontre avec l’autisme, fruit de l’expérience de ce groupe de travail parents-professionnels. Mais tout le long de la journée, les enfants ont pu circuler librement et prendre place parmi nous, avec leurs parents, accompagnés aussi des professionnels qui partagent cette vision de choses. Nous n’avions pas calculé cela à l’avance, le mode de leur présence, cela s’est produit car tout s’y prêtait. En y réfléchissant, c’était presque une évidence : ils ont pris possession des lieux et heureusement encore ! Vous pouvez trouver les témoignages sur notre blog de cette journée et celle organisée par la Mairie de Paris au Parc Floral, à laquelle nous avons participé en parallèle, partageant nos forces et présence décidée, Vous y verrez que dans chaque texte apparaît la présence des enfants et la manière que nous avons eu de la loger.

Personnellement j’ai été touchée par la présence et témoignage d’Hélène, alias Babouillec Sp, comme elle se nomme. Son regard si lumineux parlait plus que tous les mots qu’elle ne peut pas prononcer. Elle nous a écrit à la suite un court témoignage qui est rempli de la force de sa présence. Elle s’exprime en écrivant des mots à l’aide des lettres sur des petits bouts de papier, et en produisant des petits sons et quelques mots presque soufflés ou envolés.

Marie-Hélène Doguet : Et maintenant, quels sont vos projets ?

Mariana Alba de Luna : À LaMàO, nous n’avons pas de mot d’ordre. Nous avons juste des mots à partager. Après la création de LaMàO, à l’intérieur de celle-ci mais de façon autonome, plusieurs associations sont spontanément nées. Chacune avec leurs buts et projets de création de lieux d’accueil inédits (Une MAM, un lieu de co-working, une Maison d’Art), une grande exposition, « UN MONDE EN SINGULIER » avec nos amis de TEAdir Aragon (Espagne) et autres associations amies. Ce sont actuellement nos projets les plus chers. Nous espérons que très bientôt ils verront le jour et que nous pourrons vous les présenter. Nos cafés-parents continuent à se multiplier ici et là au sein de nos 6 Antennes françaises. Deux Antennes à l’étranger commencent à prendre force et visibilité dans le champ de l’autisme dans leur pays – les Antennes de LaMàO-Belgique et LaMàO-Suisse. Nous avons également trois projets d’expositions nouvelles avec des partenaires venant de l’Art Brut et du monde du Numérique – cela a été une très belle surprise qu’à vrai dire, nous attendions depuis quelque temps. Cette année, nous avons fêté la parution d’ouvrages écrits par des membres de LaMàO, comme le Petit traité d’Antoinologie, qui est d’ailleurs de votre région. Et Autre Chose dans la vie de Théo de Valérie Gay Corajoud. Je vous recommande vraiment de les lire. Ce sont deux témoignages remarquables et enseignants à plus d’un titre. Egalement nous organisons des projections de films, entre eux celui d’une autre de nos membres, Violette Aymé, autour de sa rencontre avec un enfant autiste en tant que baby-sitter. Son film s’appelle Le Ciel est Bleu parce que la Nuit est Éteinte, dont on peut visionner l’esquisse. Et aussi le merveilleux film Le monde de Théo, de Solène Caron avec Valerie Gay qui ont été projetés à Paris le 17 et 18 juin. Notre journée Internationale de l’Autisme 2017 aura lieu le 1er avril encore aux Chapiteaux Turbulents. Nous avons choisi un thème qui nous est cher et qui nous semble s’imposer face à ce que nous vivons actuellement : « Fratrie-Fraternité ». Nous comptons avec votre présence.

Comment vous pouvez constater, La Main à l’Oreille est plus vivace et vivante que jamais !

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