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Publié le samedi 6 juillet 2013

Lettre ouverte

Lettre ouverte de Jean-Claude Maleval à Madame Touraine, ministre de la Santé, pour le retrait du 3e Plan autisme


Lettre ouverte à Madame Touraine, ministre de la Santé, pour le retrait du 3e Plan autisme
(Partie I)

Professeur Jean-Claude Maleval


(On peut télécharger la première partie de cette lettre dans un format PDF sur Lacan Quotidien numéro 300 et la seconde partie sur Lacan Quotidien numéro 335)

Pourquoi s’adresser à Marisol Touraine, ministre de la Santé, concernant le 3e plan autisme, plutôt qu’à Mme Carlotti, qui en a eu la charge ? D’une part, parce que la position partisane de cette dernière ne laisse guère d’espoir à ceux qui ne la partagent pas de se faire entendre d’elle. D’autre part, pour avoir côtoyé Alain Touraine, à Nanterre, pendant mes études, je fais l’hypothèse que sa fille est une femme de culture, cherchant à s’informer, comme lui, à toutes les sources.
MM Fasquelle et Rouillard voulaient promulguer une loi interdisant la psychanalyse avec les autistes. Un large débat démocratique aurait été incontournable pour y parvenir. Ils semblent y avoir renoncé. D’ailleurs ce n’est plus nécessaire : la bureaucratie de Mme Carlotti s’y emploie. En catimini. Sans prendre le risque d’échanges contradictoires. En rédigeant le 3e plan autisme. Ainsi ce qui n’était guère envisageable par la voie parlementaire serait maintenant obtenu par le coup de force d’une mesure bureaucratique.

3e PLAN AUTISME, UN COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILE
Que les meilleures méthodes de prise en charge des autistes allient stratégies éducatives et approches psychodynamiques est une opinion qui bénéficie aujourd’hui d’un large crédit auprès des spécialistes, des autistes de haut niveau et des professionnels. Le 3e plan autisme ne l’entend pas ainsi. Il martèle que son choix exclusif en faveur de stratégies éducatives repose sur des bases scientifiques incontestables, qu’il entend imposer avec force, celles recueillies par le rapport de la Haute Autorité de Santé publié en 2012. Pourtant, l’une des conclusions majeures de celui-ci établit qu’il n’existe aucune preuve scientifique solide permettant de prôner quelque méthode que ce soit pour la prise en charge des autistes. Pour qui prend le temps de s’attarder sur l’état actuel des connaissances, le 3e plan autisme apparaît comme un colosse aux pieds d’argile.
Les conclusions de la HAS restent prudentes et incertaines, très éloignées des déclarations triomphantes des vendeurs du 3e plan, quand ils glorifient les méthodes « qui marchent ». Chacun s’accorde à considérer que la méthodologie utilisée par la HAS donne une prime importante à l’évaluation des méthodes éducatives par rapport à l’appréciation des approches psychodynamiques. Les précautions utilisées dans les recommandations de stratégies éducatives n’en sont que plus notables.

LES BIAIS MÉTHODOLOGIQUES DE LA HAS
La HAS s’appuie sur des évaluations chiffrées. Or comment additionner une trappe à serrer et deux compagnons imaginaires, auxquels il faut ajouter une machine-auto, une ville fictive et des intérêts privilégiés pour les nombres ? « Ce n’est pas possible », répond l’expert attaché à la méthodologie de la HAS, « laissons cela hors de nos études ». Il s’agit pourtant d’inventions ayant permis à des autistes (Temple Grandin, Donna Williams, « Joey », Gilles Tréhin, Daniel Tammet, Donald Tripplet) de sortir de leur solitude et d’accéder à une vie sociale. Ces informations issues de biographies et d’études de cas longitudinales sont capitales pour la compréhension de la prise en charge des autistes. Mais n’étant pas généralisables, elles sont négligées dans le rapport final de la HAS, publié en mars 2012, qui entend faire valoir des recommandations valables pour tous. Que les autistes de haut niveau témoignent régulièrement que la sortie de leur solitude soit passée par une invention singulière, non reproductible, n’intéresse pas la HAS : ce qu’elle veut, c’est du chiffre, uniquement du chiffre. Qui ne comprend pourtant que la solution trouvée par un autiste ne vaut pas pour un autre ?
Certes, ce sont parfois des techniques psychanalytiques inappropriées qui sont dénoncées avec pertinence par des autistes de haut niveau (Gunilla Gerland, Josef Schovanec) ; mais tous s’accordent sur l’importance majeure de prendre en compte leurs différences pour initier les acquisitions, ce que cherchent à gommer les méthodes d’apprentissage, fondées sur le savoir de l’éducateur. Beaucoup de spécialistes méconnaissent que les principes sur lesquels se fonde l’approche psychanalytique contemporaine de l’autisme répondent aux attentes des autistes de haut niveau en mettant l’accent sur leurs inventions et sur leur « savoir implicite » pour lutter contre l’angoisse. Précisons donc que l’approche psychanalytique de l’autisme à laquelle nous nous référons dans le courant lacanien trouve son fondement dans « la pratique à plusieurs1 », qui donne une fonction prépondérante au « savoir implicite » de l’autiste, à ses points forts et à ses inventions, en particulier celles construites à partir de son bord (objet autistique, double et îlot de compétence)2. Une position de non-savoir de la part des soignants est une condition nécessaire pour que les enfants sortent de leur repli et se risquent à inclure l’Autre dans leurs opérations. Pour être en mesure d’accueillir les inventions des autistes, l’inattendu doit pouvoir trouver place dans le fonctionnement institutionnel. La polarisation de celui-ci sur des apprentissages contraints ne le permet pas.
Mais la HAS ignore « la pratique à plusieurs ». Peut-être est-elle englobée dans la catégorie des « approches psychanalytiques » et de la « psychothérapie institutionnelle » considérées comme des « interventions globales non consensuelles ». Elles sont ainsi qualifiées parce qu’il ne s’avèrerait pas possible de conclure à la pertinence de ces interventions, en raison « d’absences de données sur leur efficacité et de la divergence des avis exprimés3 ». La littérature consacrée aux traitements psychanalytiques de l’autisme est pourtant considérable. S’il est vrai qu’il n’existe aucune donnée sur ce point, c’est à la condition de préciser : aucune de celles qui satisfont aux exigences méthodologiques de la HAS. En revanche, trois méthodes d’apprentissage sont appréciées de manière plus positive. Certes, la HAS se montre prudente : elle s’en tient à des recommandations ; de surcroît, elle reconnaît qu’aucune des méthodes ne repose sur des preuves scientifiques établies. Cependant, deux d’entre elles, la méthode ABA et le programme développemental de Denver, bénéficient d’un grade B qui désigne une « présomption scientifique » d’efficacité, tandis que le programme TEACCH obtient le grade C, désignant « un faible niveau de preuve4 ». Notons qu’avec la même méthodologie, en 2011, l’Académie américaine de pédiatrie n’accorde à la méthode ABA que le grade C. Il est passé sous silence que le rapport final de la HAS n’appréhende « la preuve » que sous l’angle de séries statistiques, établies à partir d’éléments isolés dans des cohortes de cas. Elle néglige ainsi l’histoire et la complexité du cas singulier dont l’étude de l’évolution apparaît plus probante pour les psychanalystes.
Qui plus est, le 3e plan autisme ne limite pas son approche aux enfants et aux adolescents, il n’hésite pas à traiter des adultes autistes pour lesquels la HAS avait fait d’autres recommandations en 2011. Or celles-ci étaient encore beaucoup plus incertaines. Selon la revue indépendante Prescrire, « faute de documents d’un bon niveau de preuves, toutes les recommandations [y] sont des avis d’experts obtenus par consensus non formalisés ». Il en résulte « au final » un guide qui « promeut le repérage des adultes autistes sans avancer des propositions solides de prise en charge. Les lecteurs, conclut Prescrire, ne trouveront pas dans ce guide les réponses à la question : repérer pour quoi faire5 ? ». Il oriente cependant davantage vers une prise en charge individualisée que vers une approche standardisée : « il est recommandé d’effectuer des démarches d’évaluation du fonctionnement adaptées à la singularité de la personne pour élaborer un projet personnalisé6 ». Dès lors, la rigueur scientifique variable de ces évaluations, la pauvreté des informations sur la prise en charge des autistes adultes, l’absence de données conformes aux attentes de la HAS concernant les approches psychanalytiques, tout cela devrait justifier la plus grande prudence dans les orientations du 3e plan. Tout au contraire il veut imposer à la France entière des méthodes qui, même appréciées avec une méthodologie qui leur est favorable, ne reposent que sur des bases très incertaines, et certainement pas sur des preuves scientifiques établies. La HAS note à juste titre que « la frontière entre volet thérapeutique et éducatif est parfois artificielle et floue ». Une même activité, précise-t-elle, (par exemple une activité aquatique) peut avoir des objectifs éducatifs et/ou thérapeutiques parfois en fonction du professionnel qui la met en œuvre. Bref, dans le travail avec les enfants autistes, il est d’une extrême difficulté de séparer le thérapeutique, le pédagogique et l’éducatif, ces volets étant en permanence intriqués7. De telles remarques donnent la raison de « l’absence de données » concernant l’efficacité de la référence analytique dans le traitement des autistes. Dans le cadre de la méthodologie choisie par la HAS, il est impossible d’évaluer la part de la référence analytique, puisque celle-ci n’agit quasiment jamais de manière isolée.
Les psychanalystes s’engageraient-ils dans une tentative d’évaluation de leurs pratiques avec les autistes, en se conformant à une méthodologie calquée sur les « essais biologiques et médicamenteux », inaptes à apprécier la construction d’une personnalité, qu’on en connaît déjà les résultats majeurs. D’une part, on ne saurait pas exactement ce qui relèverait de la référence psychanalytique ou d’interventions connexes quant à ce qui serait évalué ; d’autre part, la méthodologie n’atteindrait pas la rigueur exigée pour obtenir une preuve scientifique puisqu’aucune étude n’a jusqu’alors été en mesure de les réunir.
Les psychanalystes, et beaucoup de pédopsychiatres, considèrent que la méthode clinique est plus appropriée à l’évaluation de leurs pratiques que la méthode expérimentale utilisée dans les sciences dures. Ils s’appuient depuis toujours pour l’essentiel sur une autre méthodologie, celle des études de cas. Leur force probante tient en particulier aux évolutions cliniques qu’elles relatent. Quand un enfant passe d’un repliement extrême à une insertion professionnelle en bénéficiant d’un traitement, souvent de plusieurs années, le compte-rendu de sa progression constitue un document d’une grande force convaincante.

PARADOXES DES CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES DE LA HAS
La littérature scientifique internationale, à prédominance anglo-saxonne, privilégie la méthode de la médecine factuelle qui se borne à l’étude du chiffrable et du directement observable pour évaluer les prises en charge de l’autisme. Elle le fait au détriment de la considération de modifications subjectives plus subtiles à saisir, mais dont les conséquences sont plus décisives pour la socialisation. La méthode de la HAS passe sous silence que ce qui est validé, comme le souligne le professeur Jacques Hochmann, « c’est seulement la disparition d’un certain nombre de comportements gênants et la “construction” d’autres comportements souhaités ».
Toutefois, en amont des indications techniques, la HAS insiste sur la dimension éthique qui doit être inhérente à la prise en charge. La première de ses recommandations consiste « à respecter la singularité de l’enfant /adolescent et de sa famille8 ». Elle est fortement martelée : la recherche de l’adhésion de l’enfant est essentielle, il convient de le faire participer aux décisions, il faut prendre en compte ses goûts et ses intérêts. « Il doit être reconnu dans sa dignité, avec son histoire, sa personnalité, ses rythmes, ses désirs propres et ses goûts, ses capacités et ses limites9. » Toutes ces indications sont excellentes et les psychanalystes ne peuvent qu’y souscrire. Ils s’efforcent même, depuis toujours, de les appliquer. Paradoxalement, le respect scrupuleux de tels principes éthiques rendrait la méthode ABA impraticable : elle ne cherche pas le consentement de l’enfant, ne s’intéresse pas à sa cognition, méconnaît l’objet autistique, ne tente pas de décrypter ses comportements, ne tient pas compte de ses angoisses, néglige de prendre appui sur ses centres d’intérêt, etc. Le fondateur de la méthode lui-même n’hésitait pas à soutenir que les autistes n’existaient pas : il ne travaillait, selon lui, qu’avec des enfants anormaux dont il s’employait à normer les comportements. La violence faite à l’autre est au principe de l’ABA. Une violence atténuée, certes, puisque c’est en renonçant aux chocs électriques pour traiter les autistes que Lovaas inventa la méthode ABA. Il avait pourtant constaté que l’électricité était efficace, de sorte qu’il ne renonça pas d’emblée aux punitions ou conditionnements aversifs. Cependant, peu à peu, non sans regret, il y fut contraint par la pression sociale. Mme Vinca Riviere, qui fait en France la promotion de la méthode ABA, ne l’entend pas ainsi. Puisque le choc électrique est efficace pour modifier le comportement des autistes, pourquoi, se demande-t-elle, ne pas l’utiliser10 ? Elle est partisane, comme Mme Carlotti, des méthodes « qui marchent ». Pourtant la seule acceptation du recours au courant électrique, fût-ce à faible voltage, porte en elle-même de lourds dangers. Tout intervenant constatera aisément qu’une légère augmentation de l’intensité du courant améliorera l’efficacité, et qu’une augmentation un peu supérieure du voltage fera encore mieux, d’où une tentation qui ne peut manquer de temps à autre de franchir les bornes du supportable.
La HAS recommande la méthode ABA et incite conjointement à faire tout le contraire : d’une part, elle invite à respecter la singularité de l’autiste et considère que la recherche de son adhésion est essentielle ; d’autre part, elle cautionne des pratiques contraignantes poursuivies pendant des heures malgré les colères de l’enfant. La HAS confirme ici une nouvelle fois que le discours de la science est sans éthique. Appliqué à l’humain, il doit toujours être modéré par des considérations qui lui sont externes. En l’occurrence, non tempéré, il conduit à recommander la technique la plus violente, celle qui nie l’existence même de l’autisme, celle que ses promoteurs estiment aussi appropriée aux délinquants qu’aux autistes, celle qui fonctionne mieux selon eux en intégrant les punitions, celle qui est la plus combattue par les autistes de haut niveau (Dawson, Williams, Deshays), celle qui produit des enfants sages et normés à jamais dépendants, celle qui ne respecte pas la Déclaration des droits des personnes autistes11 demandant de ne pas les exposer « à l’angoisse, aux menaces et aux traitements abusifs ».
Dans un article intitulé « Prétention scientifique et chasse aux sorcières dans le monde de l’autisme12 », un père d’enfant autiste fait récemment état de méthodes d’intimidation utilisée par quelques groupuscules pour empêcher la libre expression (lettres de dénonciation, commandos, menaces, etc.) : ceux-ci parviennent à faire interdire des réunions publiques, tandis que, par crainte de se faire agresser, certains intervenants renoncent à parler. Les mêmes militants répandent leurs certitudes anti-psychanalytiques dans les médias en évitant soigneusement tout débat contradictoire. D’autres persistent à diffuser un film de propagande caricaturant la psychanalyse, condamné par la justice, tandis que d’autres encore établissent sur internet une « liste noire » des formations sur l’autisme qui ne respecteraient pas les recommandations de la HAS. Autisme France proteste contre la tenue de colloques portant sur les approches psychanalytiques de l’autisme en prétendant que « la non-pertinence de la psychanalyse a depuis longtemps été établie au regard des preuves scientifiques disponibles13 » ! On constate que ses militants n’hésitent pas à fausser les prudentes recommandations de la HAS et à les convertir en interdits de penser. Que se passerait-il si Mme Carlotti et ses amis avaient le pouvoir d’interdire les recherches universitaires sur les approches psychanalytiques de l’autisme ? Les uns et les autres ont-ils oublié qu’au XXe siècle ce fut au nom de la science, dont ils se revendiquent, que certaines idéologies conduisirent au pire ? En s’inscrivant dans ce courant de négation de la psychanalyse, c’est à la liberté de pensée que s’attaque le 3e plan autisme. La HAS regrette l’absence de données sur la psychanalyse appliquée aux autistes ; Mme Carlotti fait un pas de plus : elle ne veut pas les connaître. Elle cherche à mettre en place l’impossibilité même d’en recueillir de nouvelles.
Il ne serait pas digne d’un ministre de la Santé cultivé, s’affirmant ouvert au dialogue, pas digne de la fille d’Alain Touraine, de cautionner la fureur normative de Mme Carlotti en prenant des décisions lourdes de conséquences fondées sur des bases aussi peu assurées.

Rennes, le 26 Mai 2013

Notes

1 Di Ciaccia A., « La pratique à plusieurs », La Cause freudienne n°61, 2005, p. 107-118.
2 Maleval J.-C., L’autiste et sa voix, Seuil, Paris, 2009.
3 Haute autorité de Santé (HAS) ; Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandations. Mars 2012, p. 27.
4 Ibid., p. 25.
5 Autisme des adultes : plus une sensibilisation qu’un guide. Prescrire. Janvier 2013, 33, 351, p. 71.
6 Haute autorité de santé. Autisme et autres troubles envahissants du développement : diagnostic et évaluation chez l’adulte. Recommandations. Juillet 2011, p. 9. Téléchargeable ici.
7 HAS. Anesm., Argumentaire scientifique, op. cit., p. 79.
8 Haute Autorité de Santé. Autisme et autres Troubles envahissants du développement. Interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Synthèse de la recommandation de bonnes pratiques. mars 2012, p. 1.
9 Haute Autorité de Santé. Anesm. Argumentaire scientifique, op. cit., p. 8.
10 Dufau S., « Autisme : un courrier embarrassant pour un centre toujours cité en exemple », Médiapart, 3 avril 2012. Téléchargeable ici.
11 Déclaration des droits des personnes autistes, proposée par Autisme Europe, adoptée par le Parlement européen le 9 mai 1996. Téléchargeable ici.
12 Sadoun P., « Prétention scientifique et chasse aux sorcières dans le monde de l’autisme », blog sur Mediapart, 29 novembre 2012 (disponible sur internet). Cf. Lacan Quotidien n°259.
13 Lettre adressée à l’Association Française des Psychologues de l’Education Nationale, le 15 mai 2013, concernant le programme psychanalytique du Congrès AFPEN Nice 2013. Site internet d’Autisme France.

 

Lettre ouverte à Madame Touraine, ministre de la Santé, pour le retrait du 3e Plan autisme
(Partie II)


(On peut télécharger la deuxième partie de cette lettre dans un format PDF sur Lacan Quotidien numéro 335)

LA SCIENCE DE L’AUTISME N’EST PAS ACHEVÉE
Il existe d’autres hypothèses pour appréhender l’autisme que de réduire sa complexité à une maladie, par exemple celle d’une spécificité cognitive (Mottron, Dawson) ou celle d’une spécificité subjective (Lefort, Maleval) ; le débat est loin d’être clos, la science de l’autisme n’est pas achevée. Mais le 3e plan ne s’embarrasse pas de telles considérations épistémologiques. Il ne connaît que des méthodes « qui marchent », passant sous silence que selon la HAS elle-même elles ne sont pas très probantes et connaissent beaucoup d’échecs.
Les grandes méthodes de traitement de l’autisme reposent sur des conceptions de l’humain foncièrement différentes, ce qui les induit d’emblée à s’affronter. Pourtant elles ont toutes recueilli une expérience de la pratique avec des autistes et toutes peuvent faire état de résultats thérapeutiques. Il paraît donc intéressant de s’interroger sur l’éventuelle existence de certains points d’accord au-delà de leurs divergences manifestes. En fait il en existe plusieurs. Tout d’abord toutes ont contribué à détruire la notion d’incurabilité de l’autisme : elles insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un handicap irrémédiable et que la socialisation de ces sujets est possible – au moins pour certains d’entre eux. Aucune n’objecterait aujourd’hui sur le bénéfice de scolariser l’enfant autiste dès qu’il est capable de s’adapter à l’enseignement ordinaire – à la condition qu’il ne soit pas rejeté par les autres élèves. La nécessité d’individualiser la prise en charge est toujours mise en avant – même par les méthodes qui s’y prêtent mal. Enfin il peut être utile d’informer certains que l’ignorance de la cause de l’autisme fait consensus : ni les apprentissages inadaptés, ni les dysfonctionnement du traitement de l’information, ni le désir inconscient des parents, ni la génétique ne sont en état d’expliquer sa genèse. De surcroît un certain rapprochement semble timidement se dessiner entre des approches antagonistes. Le rapport de la HAS note que selon des publications récentes faisant référence aux techniques comportementales ABA, il est maintenant recommandé par ses partisans eux-mêmes d’être attentif aux désirs et intentions de l’enfant. D’autre part, les réticences des institutions orientées par la psychanalyse à utiliser des méthodes d’enseignement adaptées à la cognition des autistes sont elles aussi en train de se modifier : elles ont de plus en plus souvent recours à l’utilisation des pictogrammes, à la structuration de l’environnement, et à une planification individualisée des activités.
Il existe un large consensus parmi les cliniciens sur le fait que la persistance d’un libre accès au choix des traitements soit la seule attitude compatible avec l’incertitude des connaissances scientifiques actuelles sur l’autisme, de sorte qu’il apparaît urgent de rétablir le débat démocratique actuellement mis à mal sur la question complexe du traitement de l’autisme. Le retrait du 3e plan autisme en constitue un préalable incontournable.
Il faut insister sur le fait que ce 3e plan n’est pas parvenu à s’imposer aux cliniciens. Le rapport de la HAS 2012 a suscité de leur part un large rejet, « aussi bien, comme le souligne E. Laurent, de la part des organisations professionnelles regroupant toutes les tendances de la psychiatrie française, celles qui sont chargées d’en élaborer la représentation, que de la part des experts les plus familiers avec la réalité des prises en charge des sujets autistes, et donc plus avertis des effets de réel et des impossibilités que cela implique ». De surcroît, l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI), par un communiqué de presse du 20 Janvier 2012, déclarait s’opposer à la proposition de loi visant à interdire l’accompagnement psychanalytique des personnes autistes, celles-ci et leurs familles, y est-il affirmé, « ont besoin de compétences multiples pour répondre à leur problématique1 ». La nécessité d’une « approche pluridisciplinaire » y était soulignée. La Fédération d’Aide à la Santé Mentale Croix-Marine (FASM), mouvement national auquel adhèrent 300 associations et 130 établissements, constate les faiblesses méthodologiques du rapport final. Dans un communiqué de presse, en date du 16 mars 2012, intitulé « La Has et l’autisme : une autorité de moins en moins haute », le Dr B. Durand, son président, souligne : « Concernant les interventions recommandées, la FASM s’étonne de voir mis sur le même plan, comme s’il s’agissait de comparer des stratégies alternatives de prise en charge, des modes d’intervention qui ne relèvent
pas des mêmes logiques (méthodes éducatives, psychanalyse, psychothérapie institutionnelle, packing, chimiothérapies) qui ne peuvent être, si nécessaire, que coordonnées et complémentaires. Cet amalgame est d’autant plus surprenant qu’il vient d’un organisme qui revendique une démarche objective : la première condition d’une réflexion scientifique est de ne pas confondre des objets relevant de catégories différentes, ce qui ne semble pas avoir été le cas ». Il conclut que le rapport final de la HAS « se rapproche plus d’un manifeste visant à faire interdire la psychanalyse et la recherche clinique et à conforter les méthodes comportementales et plus particulièrement l’une d’entre elles, prenant ainsi le risque de rallumer des guerres dont les premières victimes seront les enfants, et les personnes autistes en général, ainsi que leurs familles2... »
Les méthodes éducatives « efficaces », se heurtent à un taux d’échec élevé, supérieur à 50% pour l’étude la plus probante en faveur de la méthode ABA ; dès lors comment pourra-t-on contraindre les professionnels à leur pratique exclusive – même au nom de la science ? Les menaces financières visant les établissements brandies par le 3e plan autisme n’y suffiront pas. Sa base scientifique friable ne saurait justifier un recours exclusif aux méthodes éducatives, de surcroît les recommandations éthiques de la HAS s’avèrent souvent en contradictions avec les recommandations techniques, comment espérer dès lors qu’il puisse s’imposer à tous ? La science de l’autisme du 3e plan est sélective : elle ne dépasse pas ce qui est toléré par Autisme France. Il fait le choix d’exacerber une situation conflictuelle en prenant un parti aveugle en faveur de méthodes éducatives. Un tel choix fait du tort aux autistes : certains d’entre eux réagissent favorablement aux méthodes éducatives, d’autres se saisissent plus volontiers des approches psychodynamiques, ce ne sont souvent pas les mêmes. Au lieu d’additionner les méthodes qui marchent partiellement, le 3e plan autisme fait le choix d’une soustraction qui laissera beaucoup d’autistes désemparés. Ainsi il ne contribuera guère à la cause qu’il prétend servir. Il rencontrera sur le terrain les mêmes résistances que les plans précédents de la part des professionnels et des administratifs informés de l’état actuel des connaissances. Plutôt que de tenter d’œuvrer au rapprochement d’approches différentes, le choix partisan du 3e plan autisme dans le contexte actuel est une maladresse politique.
En ce qui concerne le mariage gay le gouvernement de la France a su faire primer des considérations éthiques et humanistes sur des données scientifiques assez incertaines, posant là encore des problèmes épistémologiques complexes ; quant à la prise en charge des autistes il adopte une position contraire : il prétend soumettre l’éthique et l’humain à une science abusivement présentée comme achevée.

Notes


1 Unapei. L’Unapei s’oppose à la proposition de loi de M. Daniel Fasquelle visant à interdire l’accompagnement psychanalytique des personnes autistes. Communiqué de presse. 20 Janvier 2012. Téléchargeable ici.
2 Durand B. La HAS et l’autisme : une autorité de moins en moins haute. Fédération d’aide à la Santé mentale croix- marine. 16 mars 2012. Téléchargeable ici.

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