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Publié le vendredi 18 octobre 2013

ACF 2012-13 et 2013-14 – Le Havre

Un réel pour le XXIe siècle (vers le Congrès de l’AMP)

Les mercredis 9 oct., 13 nov., 18 déc., 29 janv., 21 mai, 25 juin – Le Havre

Ce séminaire s’adresse aux membres de l’ACF.
Il propose une élaboration collective du programme de travail décliné dans la Conférence de Jacques-Alain Miller (Buenos-Aires 2012) présentant le thème du prochain Congrès de l’AMP qui aura lieu à Paris en 2014 : « Il y a un grand désordre dans le réel au XXIe siècle ».

Cette assertion aux accents de Star wars part du constat que la « structure traditionnelle de l’expérience humaine » est profondément touchée voire détruite par le binaire science/capitalisme. La pierre angulaire de l’ordre symbolique a été fissurée, le Nom-du-Père selon la tradition est marqué du déclin.
L’invention freudienne est contemporaine de ce déclin, mais c’est Lacan qui en a tiré toutes les conséquences pour la psychanalyse, du début jusqu’à son tout dernier enseignement. En particulier sa formule « Tout le monde délire », corrélant la folie généralisée au trou dans le savoir sur le sexe pour tous les parlêtres, dégage une perspective inédite dans la clinique mais aussi l’épistémè et la politique de la psychanalyse.

Suivant l’invitation de Jacques-Alain Miller, il s’agira d’examiner les conséquences de cette perspective en étudiant le réel au XXIe siècle – l’usage propre qu’en a fait Lacan, à éclaircir ; au regard de la « nature », du discours de la science (« il y a du savoir dans le réel »), des effets révolutionnaires du discours du capitalisme dans la civilisation, de la langue, de la contingence et de la relation de cause à effet, de la défense contre le réel « sans loi et sans sens », et… de l’inconscient.

Ce séminaire aura lieu les mercredis 21 novembre 2012, 19 décembre 2012, 16 janvier, 13 février, 20 mars, 10 avril, 22 mai et 26 juin,
puis les mercredis 9 octobre, 13 novembre, 18 décembre 2013, 29 janvier, 21 mai, 25 juin 2014 à 21 heures.

UCID – Hôpital Pierre Janet – 47, rue de Tourneville, – Le Havre (76)
Consulter le plan d’accès.

Responsable : Marie-Hélène Doguet

Après la séance... du merdredi 29 janvier 2014,
par Marie-Hélène Doguet-Dziomba.

Serge Dziomba nous a présenté et commenté avec précision les points tranchants de quatre articles extraits du Scilicet1.

Le hiatus entre inconscient transférentiel et inconscient réel

M. Tarrab part de l’opposition entre l’inconscient transférentiel et l’inconscient réel : le premier renvoie au statut du sujet, à celui de la vérité et à l’histoire – à lire comme l’hystoire, ce terme mixte d’histoire et d’hystérie qui renvoie à la fiction du discours de l’Autre et à la réponse au désir de l’Autre qui produit le sujet. L’Autre se conçoit ici comme un sujet supposé savoir et l’hystoire renvoie aussi bien à la nécessaire hystérisation du sujet afin qu’il puisse rentrer dans le discours analytique. L’inconscient réel est d’un autre registre : M. Tarrab s’appuie sur le commentaire de J.-A. Miller de la « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », où Lacan fait valoir que nous ne pouvons être certain « d’être dans l’inconscient » que lorsque le lapsus « n’a plus aucune portée de sens » – pour le psychanalyste, la certitude d’être dans l’inconscient réel se fonde sur la répétition du Un coupé de toute signification, il s’agit de l’Un qui n’attend ni articulation signifiante, ni réponse de l’Autre. La position de l’analyste est alors liée à l’une-bévue, à la méprise et à la fuite du sens et non plus à l’interprétation et au sujet supposé savoir – l’analyste vise autre chose, hors sens. Son horizon devient le trou et la contingence de la rencontre entre le corps et lalangue.

Il y a un hiatus entre l’inconscient-sujet et l’inconscient réel – ils ne s’articulent pas, le passage de l’un à l’autre comporte un saut. Le symptôme (sinthome) se situe sur un bord, il n’est rien d’autre qu’un invariant (cf. le témoignage d’Hélène Bonnaud sur l’arrachement de l’éjection et le statut de la phrase du père prononcée avant sa naissance « si c’est une fille, on la jettera par la fenêtre »). Le réel se situe ici au niveau où « l’ex-sistence » se conjugue à l’écriture, hors sens. Il a un double effet : la lettre et l’écriture – soit un effet d’inscription et un effet de jouissance dont le sens est exclu. Il ne s’agit plus de la reconstruction d’une histoire, mais « de fragments d’écriture et de bouts de réel ». L’enjeu de la pratique d’aujourd’hui serait donc « la façon dont nous traiterons cette impossible articulation entre histoire et satisfaction », avec une alternative : ou bien le sens « dépliable à l’infini », le joui-sens, la lecture, ou bien l’affect du corps, la jouissance opaque, l’écriture (le Un), la réitération interminable du même.

La voie d’un S1

B. de Halleux part, lui, d’un rappel du Séminaire III, concernant le statut de la communication pour Lacan : une communication signifiante, à l’envers de la pente significative propre à la psychologie. Il fait valoir l’importance de ce que nous enseigne le sujet autiste. L’analyste doit s’en tenir au signifiant tout seul auquel a affaire ce sujet, il doit abandonner l’idée du sens et d’une dialectisation du sujet : secrétaire du S1 tout seul, sans S2, qui ne cesse de se répéter et de produire des effets de jouissance, sans médiation, se répercutant directement sur le corps. B. de Halleux fait le parallèle avec le parcours de l’analysant : l’analysant part d’une croyance au sens et au chiffrage de l’inconscient. L’articulation signifiante est véhiculée par le discours de l’Autre ; il s’agit pour l’analysant de déchiffrer les formations de l’inconscient, d’ordonner son hystoire, son articulation au désir de l’Autre. Cela le conduira à la réduction des symptômes, asséchés, à mettre le doigt sur la jouissance qui habite ces bouts de symptômes qui ne varieront plus. Là est la voie d’un S1.

Son opérateur est le désir de l’analyste. Dans le Séminaire XI, l’opérateur cherche à obtenir par l’interprétation « une différence absolue » pour le sujet : c’est-à-dire à faire surgir un S1 tout seul, détaché du sens, à réduire la chaîne signifiante du roman familial à quelques points. Ce S1 ex-siste au sens, il vient dans sa matérialité faire surgir un réel qui se dégage de tout sens. Ce S1 est hors de « l’être », sans portée de signification.

Il s’agit donc de passer de l’inconscient transférentiel à l’inconscient réel : ici un « savoir y faire » avec ce réel dégagé du sens, est requis. Le désir de l’analyste se trouve ainsi touché dans sa définition : « un désir d’atteindre au réel, de réduire l’Autre à son réel et de le libérer du sens » selon la proposition de J.-A. Miller – ce qui y fait obstacle est une « défense contre le réel ».

Ou bien toujours, ou bien encore

X. Esqué part quant à lui, de l’affirmation de Lacan dans le Séminaire …ou pire, « Y a d’l’Un », qui est contemporaine du fameux « Il n’y a pas de rapport sexuel » – il n’a pas de loi naturelle des relations homme femme, nulle formule logique ne peut s’en écrire dans l’inconscient. S’appuyant sur le Parménide et surtout sur l’invention par les néoplatoniciens du Un tout seul qui n’entre dans aucune série et ne répond à aucuns critères articulés, X. Esqué met l’accent sur l’incompatibilité entre l’Un et l’être. « L’être » est situé en rapport avec l’Autre, alors que l’Un sort de la sphère de l’être – il lui ex-siste. Il relève de la logique du pas-tout, du non rapport et de la différence absolue. Il s’agit d’un bouleversement qui voit chuter la primauté de l’Autre au profit de l’Un tout seul, de lalangue sans loi à la différence du langage. Ceci porte à conséquences dans la pratique. Ici nous retrouvons une alternative : ou bien la voie du sens infini ou bien la voie de l’Un tout seul. Serge résume cette alternative à la formule « ou bien toujours, ou bien encore ».

X. Esqué souligne que la traversée du fantasme ne vient pas à bout de la jouissance. Dans la structure du fantasme ($<>a), a s’inscrit dans une suite S1, S2, $, a, il est déterminé par cette suite, il se tient au lieu de la signification de jouissance dans l’inconscient, une jouissance où transparaît le sens, joui-sens ; la traversée du fantasme est une opération qui porte sur le désir et non sur la jouissance, elle apporte une solution au désir par l’éclairage de sa cause – autrement dit elle apporte un savoir.

Autre chose est la réponse à l’énigme de la jouissance, opaque au savoir : les restes symptomatiques, les « marques de la jouissance commémorant la jonction de l’Un et du corps ». La réitération de l’Un de jouissance est la commémoration d’un évènement de corps, elle commémore la façon dont le corps a été percuté par le signifiant – autrement dit ce qui s’est passé et aussi les effets de répétition d’une percussion rappelée. Le sinthome est ici « le réel et sa répétition », pure réitération de l’Un de jouissance. Cette commémoration ne délivre aucun sens ; pour arriver jusqu’à elle, il faut l’invention par Lacan du parlêtre : soit un sujet + son corps qui se jouit. A ce niveau, la jouissance est libérée de sa détermination œdipienne, le principe en est donné par Lacan à la jouissance féminine – « une jouissance indicible qui ne s’occupe pas des interdits, ne passe pas par la castration, ne se laisse pas négativer et se révèle ainsi pur évènement de corps ».

Pour la psychanalyse, il n’y a pas de réel préexistant

P. Bolgiani prend son départ de l’ombilic du rêve freudien, le point où le rêve repose sur le « non-connu » – il s’agit d’un trou bordé par le travail interprétatif du signifiant. Elle souligne que Lacan a élaboré tout au long de son enseignement les rapports entre le sujet, l’Autre et le réel, avec différentes figures topologiques construites autour d’un trou. Dans « Fonction et champ de la parole et du langage », Lacan s’appuie sur la topologie du tore pour situer la mort au centre de la parole, un « centre extérieur au langage ». La mort est un signifiant sans signification, hors sens, qui convoque le réel, elle en est le « tenant-lieu ».

Dans « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Lacan désigne le réel par le mathème S(Ⱥ) dans son graphe du désir – il y a un trou dans le trésor des signifiants, où il ne peut y avoir de réponse qu’en termes pulsionnels. Dans le Séminaire XI, l’objet a n’est rien d’autre que « la présence d’un creux, d’un vide ». L’objet a est un reste non représentable, non symbolisable. Côté homme, petit a est ce qui vient à la place de (-φ), l’organe phallique en tant qu’il disparaît et qu’il est le véritable partenaire manquant : petit a est un reste mais il est une jouissance significative, qui consonne avec le sens dans le fantasme. Lorsque l’Autre est rendu par Lacan inconsistant et inexistant, l’objet a devient ce qui supplée au non rapport dans le fantasme, côté homme. Il est donc un bouchon, un faux trou qui vient à la place du partenaire manquant. Côté femme, un autre régime du manque est à l’œuvre, qui relève de la logique du pas-tout et débouche sur l’Autre jouissance.
Que vient nouer le nœud borroméen ? Il vient nouer trois registres : la consistance imaginaire, le trou du symbolique et le réel qui ne s’attrape que par l’ex-sistence, c’est-à-dire par ce qui sort de « l’être » et donc du sens. A quoi il faut rajouter le quatrième nœud du sinthome. P. Bolgiani souligne un point important : à la différence du réel du déterminisme de la science, pour la psychanalyse il n’y a aucun réel préalable, préexistant – le seul réel qui compte pour la psychanalyse est celui qui surgit pour chaque sujet.


Note :
1 Un réel pour le XXIe siècle, Scilicet, Collection rue Huysmans, 2013 : M. Tarrab, « Inconscient réel », pp. 170-172, B. de Halleux, « Hors sens », pp. 149-151, X. Esqué, « Un (Yad’lun) », pp. 365-367, P. Bolgiani, « Trou », pp. 359-361.

Après la séance... du merdredi 9 octobre 2013,
par Serge Dziomba.

Compte-rendu de la présentation commentée de l’article de Jean-Louis Gault paru dans La Cause du Désir numéro 84 : « La naissance de la science moderne. Une lecture de « La science et la vérité » ». 1re partie.

La notion de sujet n’est pas intemporelle dans un au-delà de l’histoire. Le sujet est une notion qui dépend des régimes des discours et implique une temporalité : antique, moderne, de la science, de la psychanalyse. Ainsi peut être noté la naissance de La science – avec une majuscule – comme produit d’une mutation radicale, coupure épistémologique entre sciences anciennes et sciences modernes. Lacan est attentif à A. Koyré qui, sensible à l’audace de Descartes, fait valoir la révision par le philosophe de tous les savoirs admis jusqu’ici. Le doute méthodique de la méditation cartésienne est le moment de cette mutation. La remise en cause des savoirs, des représentations, comporte une radicalité celle de la tabula rasa et transforme profondément la relation au savoir du sujet. La naissance de La science dans son acception moderne implique la domination de la raison sur l’expérience, l’empirique, le connu. Il s’agit même de lui tourner le dos. « La raison domine » veut dire qu’à la réalité de l’expérience sensible se substitue un appareil théorique logico- idéo-mathématique. Dorénavant la structure de l’expérience sera déterminée par la théorie mathématique utilisant le langage mathématique pour poser des questions à la nature et en interpréter les réponses en langage mathématique. Ainsi nait le discours de la science.

Concernant l’émergence du discours de la science, Lacan rapproche Koyré et Kojève le lecteur d’Hegel. Pour Koyré, la science moderne est le fruit d’une coupure entre l’épistémé antique et la science moderne. Elle s’effectue par l’introduction de l’idée d’une science de la nature mathématique. Pour Hegel la coupure provient du christianisme venu se glisser entre le monde antique et l’univers moderne. La thèse de Lacan conjoint les deux, les dépasse ; la voici : Le christianisme se distingue du monde antique par ce qu’il a de juif en lui, la science moderne ne se constituant pas sans le Dieu des Juifs car le monde qu’instaure le monothéisme est ordonné autour d’un centre. Ce centre creuse le frayage de la voie de la conception unitaire de l’univers telle que la promeut le discours de la science. La science mobilise le signifiant, sa fonction créatrice, tout comme le mythe biblique de la création ex-nihilo fait valoir la fonction créatrice du signifiant. Et que dire du message du Dieu de Moïse sinon qu’il instaure un nouveau rapport entre vérité et savoir, sinon qu’il est la condition du régime du savoir propre au discours de la science, où savoir et vérité sont en exclusion ? Mais à quoi tient cette mutation donnant naissance au discours de la science sinon à une position subjective historiquement définie par des coordonnées de discours ? Le sujet comme effet de discours est historiquement déterminé dans son rapport au savoir.

Jean-Louis Gault soulignant cette dimension essentielle de la thèse remarque les trois moments subjectifs isolés par Lacan, comme dialectique du sujet auxquels trois noms sont attachés : Socrate avec le monde antique, Descartes et l’invention de la science nouvelle et enfin Freud l’inventeur de la psychanalyse. Trois temps, trois scansions. En prenant appui sur Freud, Lacan nous indique Jean-Louis Gault, va renouveler, refonder la notion de sujet. Ce « travail » a commencé avec le séminaire XI. Le sujet est repéré dans l’expérience analytique par la spaltung ou refente due au langage comme structure. L’expérience est alors posée comme « épreuve du langage » où l’analysant devient sujet de lapsus, d’oublis, de rêves parce qu’il parle. Il s’en trouve dérangé, la position analysante faisant surgir l’écart entre l’intention de signification et ce qui est dit effectivement. Ce sont les formations de l’inconscient qui émergent alors. La structure du langage lorsqu’elle est reconnue dans l’inconscient conçoit un sujet parlant certes mais aussi parlé car divisé entre l’énoncé et l’énonciation. Ceci permet de reconnaitre la structure, le langage, comme premier et le sujet comme second dans l’expérience. Un sujet effet défini par le fading, le trou, l’achoppement, la dénégation apparait comme sujet de l’expérience d’une analyse. Ceci n’est pas sans effet sur le couple tendu vérité/savoir. Pour Lacan, les élèves de Freud ont mortifié la vérité de la découverte freudienne dont il s’agit de rétablir « le soc tranchant ». Ils en on fait un savoir mort… parmi les autres.

Après la séance... du merdredi 19 décembre 2012,
par Marie-Hélène Doguet.

Lors de la deuxième séance du Séminaire nous avons discuté deux textes : « Le triomphe de la religion1 », une interview donnée par Lacan en Italie en 1974 à la veille du Congrès où il prononça « La troisième », et « Galilée et la révolution scientifique du XVIIe siècle2 », une conférence d’Alexandre Koyré datant du 7 mai 1955.

Dans « Le triomphe de la religion », Lacan part des « positions impossibles » traditionnelles – gouverner, éduquer – auxquelles il faut ajouter avec Freud, une fonction « encore plus impossible », mais nouvelle, sans tradition, celle de l’analyste, qui s’occupe « de ce qui ne marche pas » : le réel. Lacan oppose « ce qui marche » – « le monde » qui tourne – et « ce qui ne marche pas », le réel dont s’occupent les analystes, qui fait apercevoir qu’il n’y a pas de monde comme Tout. Le réel est une « notion complexe », qui ne s’imagine pas, « non saisissable d’une façon qui ferait tout ». C‘est donc à partir de la logique du pas-tout qu’il y a chance de saisir « un » réel.

La psychanalyse n’est pas venue à n’importe quel moment historique : elle est corrélée à une certaine avancée du discours de la science. Elle est un symptôme (mais de quoi ?) qui fait partie du malaise dans la civilisation – elle est liée à « l’intrusion du réel » ; avec elle, on a eu « un petit instant », « un éclair de vérité » ; avec elle, on a une « juste mesure » de ce qu’est le « parlêtre » qui est une façon d’exprimer l’inconscient – soit le fait « imprévu et inexplicable » que l’homme est un « animal parlant » ; d’où la question : « avec quoi se fabrique cette activité de parole » qui s’attache de façon très particulière à la sexualité ? Comme le dit Lacan, quand « le Verbe s’incarne », le parlêtre est « ravagé » : cette incarnation porte atteinte à l’harmonie, à l’image, à l’autoérotisme – et en même temps c’est le Verbe qui fait jouir le parlêtre, qui porte le plaisir et la jubilation. La manifestation du réel au niveau de l’être parlant, c’est la morsure et en même temps le « rangement » par le symptôme – ça n’est pas le « vrai réel ». Le symptôme nous permet de nous « habituer » au réel.

Mais qu’est-ce que le « vrai réel » ? C’est celui auquel nous pouvons accéder par la voie scientifique, la voie de l’écriture, « des petites équations ». Or nous sommes « séparés » de ce réel-là parce que nous ne pourrons jamais venir à bout par cette voie-là du rapport entre la sexuation mâle et la sexuation féminine. Pas de formule qui s’écrive scientifiquement sur ce point, mais à la place de cette écriture impossible, le « foisonnement des symptômes » qui s’accrochent là. Lacan ajoute que s’il parle du réel, c’est que ça lui paraît une notion radicale pour nouer quelque chose dans l’analyse – ce n’est pas la seule, il y a aussi le symbolique et l’imaginaire ; ces trois cordes indiquent à l’analyste la rampe à tenir pour ne pas « se laisser glisser dans l’escalier sur le derrière » !

Concernant le vrai réel, celui auquel nous accédons par les petites formules de la science, Lacan souligne que jusqu’à présent nous n’en avons pour résultat que des gadgets – qui ne nous mangent que « par l’intermédiaire de choses que ça remue en nous » (l’objet a) ; mais ça ne durera qu’un temps, il y aura un « tamponnement » des gadgets prévoit-il. Par contre Lacan évoque la question qui hérissait Henri Poincaré, celle de l’évolution des lois – que le réel pourrait admettre.

Enfin Lacan oppose à la science le triomphe de la religion – qui est celui du sens : la religion peut donner un sens à tous les bouleversements introduits par la science dans la vie de chacun, elle est faite pour que les hommes ne s’aperçoivent pas de ce qui ne va pas, pour refouler le symptôme en le « noyant » dans le sens. Quant à la psychanalyse, elle ne triomphera pas de la religion qui est « increvable », mais elle survivra ou pas : son sort est lié à celui du symptôme et du réel.

Quant à Koyré, qui est une des références de Lacan, il montre de façon lumineuse comment la révolution galiléo-cartésienne, celle de la science physique moderne, a été préparée par « un long effort de pensée » consistant à construire le cadre même qui rendra possible la découverte de la loi de l’inertie. Pour que le savoir de la physique aristotélicienne anti-mathématique (qui repose sur la perception des sens et une conception d’un cosmos fermé et hiérarchisé comme Tout) puisse être subverti, il faudra un S1 nouveau, le concept galiléen du mouvement : pour cela il faudra poser à la nature une question formulée dans un langage approprié. La révolution galiléenne peut ainsi être résumée dans «  la découverte que les mathématiques sont la grammaire de la science physique » qui permettent de lire le grand livre de la Nature écrit « en caractères géométriques ». Ceci implique un choix : choisir entre penser ou imaginer avec le sens commun (qui est toujours aristotélicien !) Un texte de commentaire de cette conférence a été rédigé par Serge Dziomba et sera communiqué prochainement.

Lors de la prochaine séance, nous nous intéresserons à la passionnante démonstration de G. Wajcman3 qui pour observer « l’Objet du siècle » d’un peu près, convoque la Roue de M. Duchamp et le Carré noir de K. Malevitch en tant que ces œuvres sont elles-mêmes des machines à interpréter : il nous propose de regarder ces œuvres d’art comme des « objets pensants » et de regarder le monde à l’aide de ces œuvres. Nous nous intéresserons également à la lecture d’une BD au titre suggestif « SOS bonheur » de Griffo et Van Hamme, à laquelle nous joindrons l’article de Jacques-Alain Miller paru dans Le point le 18 août 2012 « Les prophéties de Lacan ». Enfin citons le dernier numéro de la revue Esprit où il est question du « mariage pour tous ».

Notes :

1 Jacques Lacan, « Le triomphe de la religion », Le triomphe de la religion, Seuil, Paris, 2005, pp. 69-102.
2 A. Koyré, « Galilée et la révolution scientifique du XVIIe siècle », Etudes d’histoire de la pensée scientifique, Tel Gallimard, 1973, pp.196-212.
3 G. Wajman, L’objet du siècle, Verdier poche, 1998.

Après la séance... du merdredi 21 novembre 2012,
par Marie-Hélène Doguet.

La première séance du séminaire a permis, à partir d’une première lecture du texte préparatoire de Jacques-Alain Miller[1], de dégager le début d’un programme de travail. La méthode retenue s’inspire du travail de cartel – que chacun puisse soutenir un sujet de travail. Du texte crucial de J.-A. Miller, nous avons extrait plusieurs thèses à développer, dans l’optique de « la mise à jour de notre pratique analytique, de son contexte, de ses conditions, de ses coordonnées inédites au XXIe siècle » :

Jacques-Alain Miller envisage la nécessaire étude du réel comme une « conséquence » de la « perspective inédite » introduite par Lacan lorsqu’il a énoncé que « tout le monde est délirant », c’est-à-dire lorsqu’il a étendu la folie à tous les êtres parlants confrontés à un trou dans le savoir concernant la sexualité. Là où le Nom-du-Père a été rabaissé à n’être qu’une suppléance du trou, là surgit comme conséquence « le grand désordre dans le réel » qu’il s’agit de cerner – tout d’abord en clarifiant l’usage que Lacan a fait du « réel ». Deux textes de J.-A. Miller sont des jalons importants dans cette clarification : « Un rêve de Lacan »[2] et le cours du 9 mars 2011[3].

La première thèse est que le premier nom du réel a été la « nature » – alors le réel « déguisé en nature », semblait la manifestation « du concept même d’ordre ». La nature, « ordonnée par la conjonction du symbolique et du réel », se laissait attraper par le concept de « loi naturelle » – qu’il s’agisse du monde de la physique d’Aristote ou de l’ordre divin chrétien (cf. Saint Thomas d’Aquin[4] et son impératif de ne pas toucher à la nature). La « vraie » religion lutte pour protéger l’ordre naturel du réel – cause perdue ? Triomphe à venir[5] ? Le « désordre » est venu avec l’apparition du discours scientifique, peut-être préparé par le désir de toucher au réel qui se manifestait dans la magie[6] (« l’appel direct au signifiant qui est dans la nature à partir du signifiant de l’incantation »). La référence incontournable à Koyré[7] montre comment la science a fait taire la nature en passant à l’écriture (cf. Galilée et « la nature est écrite en langage mathématique »). Ce que résume l’aphorisme de Lacan « il y a du savoir dans le réel ».

Or, et c’est la deuxième thèse, il s’agit de s’attaquer à cette supposition de savoir dans le réel – tel serait « le dernier voile à lever » – tant en ce qui concerne les avancées de la science contemporaine mathématique et physique (cf. l’incertitude probabiliste[8], la physique subatomique etc.), qu’en ce qui concerne l’inconscient que Lacan a enseigné tout un temps comme un savoir dans le réel, avant d’ouvrir une autre dimension avec lalangue. Dans le discours analytique, « l’inconscient transférentiel » devient une « élucubration de savoir » sur un réel, il superpose à ce réel un sujet supposé savoir qui vient l’interpréter : mais le réel, lui, est « dépourvu de sens », il est « sans loi »[9]. Ce réel inventé par Lacan, n’est pas le réel de la science : c’est un trou dans le savoir inclus dans le réel, il résulte de ce qu’il n’y a pas de loi naturelle de la relation entre les sexes. Par contre il y a la pure rencontre, hasardeuse, contingente, de lalangue et du corps avec ses effets de jouissance et le « savoir fictionnel » qu’en élucubrera le fantasme. D’où l’exploration proposée par J.-A. Miller de la défense contre le réel sans loi et hors sens : « dans le XXIe siècle, notre clinique devra se centrer sur le démontage de la défense, désordonner la défense contre le réel ».

Enfin, troisième thèse à développer : « capitalisme et science se sont combinés pour faire disparaître la nature et ce qui reste de l’évanouissement de la nature est ce que nous appelons le réel, c’est-à-dire un reste, par structure, désordonné. On touche au réel de tous côtés selon les avancées du binaire capitalisme-science, de manière désordonnée, hasardeuse, sans que puisse se récupérer une idée de l’harmonie ». Là se situe l’examen des « effets révolutionnaires » du discours capitaliste (cf. K. Marx et F. Engels « Le Manifeste du parti communiste » (1848)), du développement de la techné (par opposition à l’épistémè) avec ses « gadgets » qui nous mangent « par l’intermédiaire de ce que ça remue en nous »[10], la tyrannie implacable du chiffre (cf. La mal mesure de l’homme, Jay Gould), la mutation radicale et généralisée de l’objet regard qui ne triompherait désormais plus de l’œil (cf. L’œil absolu, G. Wajcman, Denoel, 2010). Nous pourrons aussi nous instruire des productions populaires que constituent les séries télévisées américaines (cf. Les experts. La police des morts, G. Wajcman, PUF, 2012). Enfin, une fois de plus, les artistes nous précèderont – il y a lieu de s’intéresser au « retour du réel »[11] dont témoignerait l’art contemporain ; selon l’historien d’art moderne Hal Foster, une part de l’art contemporain « refuse l’ancien mandat pour pacifier le regard, pour allier l’imaginaire et le symbolique contre le réel » (p. 177). Nous pourrons suivre les propositions de G. Wajcman sur le « narcisse blessé », l’atteinte radicale à l’image du corps et la dimension d’un art qui relève plutôt du sinthome que de la sublimation.

Notre prochaine rencontre aura lieu le mercredi 19 décembre 2012. Nous étudierons « Le triomphe de la religion » et « Galilée et la révolution scientifique du XVIIe siècle » (A. Koyré, op. cit.). Nous poursuivrons également une discussion entamée autour du « mariage pour tous » (pourquoi ne pas parler du « mariage homosexuel » mais du « mariage pour tous » ? Au-delà de la dimension euphémique de la novlangue bureaucratique qui nous écrase, ne s’agit-il pas d’une nouvelle langue juridique qui promeut « le droit à ». Le mariage deviendrait un « droit à », en l’occurrence le « droit à l’enfant », qui est une des multiples figures du droit à la jouissance). Rappelons que le séminaire est destiné aux membres de l’ACF. Si des non membres sont intéressés, ils doivent contacter Marie-Hélène Doguet auparavant.

Notes :

[1] J.-A. Miller, « Le réel au XXIe siècle. Présentation du thème du IXe Congrès de l’AMP », La Cause du désir, N°82, pp. 88-94.

[2] J.-A. Miller, « Un rêve de Lacan », Le réel en mathématiques. Psychanalyse et mathématiques, Agalma, Le seuil, 2004, pp. 107-133.

[3] J.-A. Miller, cours au département de psychanalyse de Paris VIII « L’orientation lacanienne », 2011 « L’être et l’Un », cours du 9 mars 2011 (inédit).

[4] E. Gilson, « Le thomisme. Introduction à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin », Vrin, Paris, 1986, pp. 330-331.

[5] J. Lacan, « Le triomphe de la religion » (1974), Le triomphe de la religion, Seuil, 2005, pp. 69-102.

[6] J. Lacan, « La science et la vérité », Ecrits, Seuil.

[7] A. Koyré, Etudes d’histoire de la pensée scientifique, Tel Gallimard, p. 16, p. 61, p. 87, p. 196.

[8] N. N. Taleb, Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible, Les Belles Lettres, 2008.

[9] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Seuil, 2005, chapitre 9 « De l’inconscient au réel », pp. 129-137.

[10] J. Lacan, Le triomphe de la religion, op. cit., p. 94.

[11] H. Foster, Le retour du réel. Situation actuelle de l’avant-garde, La Lettre volée, 2005.

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