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Publié le samedi 30 avril 2022

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Un retour sur le troisième cours « Pastoute studies » d’Esthela Solano-Suarez

Un texte d’Alexia Lefebvre Hautot


Dans le cadre des enseignements de l’ECF, « Le savoir psychanalytique à ciel ouvert », Esthela Solano-Suárez aborde dans son cours « Pastoute studies » l’inclassable de la jouissance spécifiquement féminine, qui ne s’universalise ni se collectivise.

Alexia Lefebvre Hautot propose un retour du cours du 7 mars 2022.


La fonction phallique



Introduction

Dans ce cours, E. Solano reprend le moment où le concept de fonction phallique est apparu et a été construit dans l’enseignement de Lacan. Ainsi, dans Le séminaire, livre XVIII, Lacan note que l’usage du langage comporte l’articulation signifiante, permettant qu’un effet de sens puisse avoir lieu.
E. Solano fait un rappel concernant la métonymie – connexion de signifiants entre eux – et la métaphore – substitution d’un signifiant par un autre signifiant. De là, va résulter un effet de signification, de l’ordre de la signification phallique, dont le référent n’est jamais le bon. A savoir que le langage, usant du signifiant, rate le référent, rate le réel.

Le complexe de castration

Freud par le biais de sa découverte de l’inconscient indiquait que les formations langagières ont à faire avec le sexe. Dans Le séminaire, livre XVIII, Lacan aborde la question du complexe de castration, par la voie logique, donnant au phallus un statut de fonction. Il y précise que l’inconscient nous fait croire au rapport sexuel qu’il n’y a pas. Cette croyance se soutient des fictions produites par les rêves notamment.

La vérité comme structure de fiction

Notons d’abord que la vérité a une structure de fiction, ainsi que Lacan le remarque. Un discours, comme celui de la science, ouvre une interrogation du langage, non pas par la voie de la parole, mais par la voie de l’écriture, à partir de laquelle ce même discours, par des vérifications scientifiques, met la vérité au pied du mur. Ainsi, le discours scientifique, qui se sert de la logique, nous permet de passer de la parole à l’écrit et de la fiction au réel. Lacan y voit l’occasion d’une vérification permettant de saisir les points de butée de la vérité fictive.
Si, la parole qu’on dit, relève de la vérité variable, aussi appelé vérité menteuse par Lacan, comment opérer dans l’expérience analytique, pour toucher au réel ? Il s’agirait donc de vider les évidences du sexuel pour atteindre à la vérification de ce que le langage ne peut produire comme écriture du rapport sexuel. Lacan écrit à ce propos : « qu’il n’y a pas de rapport sexuel chez l’être parlant », ce qui n’empêche pas la liaison mais lui donne ses conditions. « Il y a une première condition […], c’est que le rapport sexuel, comme tout autre rapport, ne subsiste au dernier terme que de l’écrit1 ». Les discours, dont le discours analytique, prennent naissance sur cette faille inscrite dans le réel, en tant qu’impossible à s’écrire. A partir de quoi Lacan, se servant de la logique, invente la fonction phallique et les formules de la sexuation. Il va travailler les textes de Gottlob Frege2, qui traite les expressions linguistiques, comme des équations mathématiques. Frege opère deux scissions.

Une première scission entre argument et fonction :

Frege définit le concept de fonction à un seul argument, à partir de laquelle Lacan a construit son écriture de la fonction phallique.

  • Frege prend pour exemple : 2 + 5 et 3 + 4, et travaille à partir des signes numériques, qui ont ici la même dénotation et sont différentes d’une fonction.
  • Pour Frege, parler de fonction, c’est se référer à des expressions écrites où la lettre « x » est impliquée dans l’écriture, et indique un nombre de manière indéterminée. Peu importe qu’on écrive x ou un nombre : ce n’est pas ça qui définit la fonction. C’est l’examen de cette écriture, qui aboutit à une interprétation de la fonction où x est l’argument de la fonction, comme dans l’exemple suivant : 2.x3 + x -> 2.( )3 + ( ) -> 2.13 + 1 = 3. La lettre x – argument de la fonction – indique un nombre indéterminé. Ce qui compte, c’est l’écriture de la place vide, la lettre indiquant la place où on doit introduire l’argument. Une fois la fonction complétée par son argument, elle est porteuse d’une valeur de la fonction pour cet argument-là. Ici, 3 est la valeur donnant à cette fonction l’argument, à savoir : le chiffre 1. La valeur de la fonction est accordée par l’inscription de l’argument à la place vide. On utilisera alors la lettre F ou f, complétée d’une place vide où pourra s’écrire la valeur indéterminée x : f(x), où x est à la place de l’argument.

- Il n’y a pas de rapport sexuel :

Lacan, dans son texte3 indique « que le corps du parlant, par l’effet du langage, est découpé en partie ». C’est un découpage des parties, de ce qui est visible et invisible au niveau du corps comme par exemple les organes. Ainsi, la coupure opérée par le langage, distingue dans le corps, les organes aussi bien que leur fonction. La valeur du facteur temporel au niveau de ce découpage est très importante. La circoncision en est un exemple : la pratique consistant à couper le prépuce a été première et il aura fallu attendre plusieurs siècles, pour que la chirurgie s’en empare. Lacan a repéré que, pour le parlant, un organe se fait signifiant tenant du discours et que, pour que l’organe subisse la Aufhebung de la signifiantisation, le sujet doit s’inscrire dans un discours. Faute de quoi, l’inscription de la fonction phallique ne se produit pas.
« Pour la fonction d’appât, si c’est l’organe qui s’offre hameçon aux voracités [...], le signifiant au contraire est le poisson à engloutir ce qu’il faut aux discours pour s’entretenir. Cet organe, passé au signifiant, creuse la place d’où prend effet pour le parlant, suivons-le à ce qu’il pense : être l’inexistence du rapport sexuel4 ». Dans « L’étourdit », Lacan fait de ce signifiant phallique une fonction, s’écrivant, à titre de suppléance, à la place du rapport sexuel qui n’existe pas.

- Comment faire argument, vis-à-vis de la fonction phallique ?

Quand on parle de la fonction phallique, on se réfère à ce qui s’inscrit dans l’inconscient. Phi de x est la fonction phallique, à quoi les êtres sexués vont donner une réponse, par leur mode d’y faire argument. C’est dans le séminaire ...Ou pire, que Lacan définit grand phi de x, lui donnant la valeur de ce qui se produit, du fait de la relation du signifiant à la jouissance. Grand phi, est le signifiant d’une jouissance positivée. Et, c’est à cette place du x que l’on s’inscrit à titre de signifiant, en tant que sexués. x s’inscrit à la place du trou de la fonction, comme variable apparente. Cela signifie qu’à chaque fois qu’un être parlant aura à faire au signifiant de la jouissance, il aura à faire à la fonction phallique et il s’inscrira par rapport à cette fonction, à la place d’argument, du côté homme ou du côté femme. Cela ne s’opère que dans le cas où la fonction n’est pas forclose, ne portant pas à côté d’elle la valeur phi(0).

Pour Frege, il est possible de décomposer une phrase (une proposition) en deux parties, comme pour les équations : fonction et argument. Dans la proposition : « César conquit les Gaules », Frege opère un trou, gardant la deuxième partie : « conquit les Gaules ». C’est la partie insaturée traînant une place vide avec elle : c’est-à-dire la partie qui fait fonction. En inscrivant un nom propre, César (l’argument), dans cette place vide, alors la proposition prend un sens. De là, Frege met tout objet comme argument de fonction et vide les propositions de toute valeur subjective, opérant avec les formations linguistiques, de la même façon qu’avec les équations mathématiques.

- La vérité change de visage :

Par le biais de la logique mathématique, la vérité est réduite à la valeur d’une fonction, ne circulant plus comme relative à une structure de fiction. En logique, la valeur d’une fonction s’écrit à travers deux lettres : F et V (faux et vrai). La vérité devient donc une lettre. Ainsi, par l’écriture logique, Frege extrait la vérité de son statut de fiction – la vérité en tant que variable et en tant que menteuse selon Lacan– et lui donne une valeur d’écriture. Dans la phrase « la capitale de l’empire allemand », on peut remplacer « la capitale » par la lettre x. « L’empire allemand », serait la fonction. Écrivons Berlin à la place de x et cette proposition prend valeur de vérité. Berlin, est donc l’objet donnant valeur de vérité à la fonction « capitale de l’empire allemand ».

Une seconde scission entre le Sinn (le sens) et la Bedeutung (signification, référence, dénotation) :

Cette référence à la logique soutenue par Frege, met en exergue que, ce n’est pas la même chose de dire Vénus (la planète) ou de l’appeler l’étoile du matin ou du soir. En effet si l’on ignore que l’étoile du soir, se dit aussi étoile du matin alors, on peut penser qu’une des deux propositions est fausse. La dénotation étoile du soir ou étoile du matin, est la même et cela dénote aussi le nom de la planète Vénus. Mais, ces deux propositions n’ont pas le même sens. Sens pouvant être saisi quand on connaît suffisamment une langue. En revanche, la dénotation du signe, à supposer qu’elle existe, reste dans l’ombre. Cette dernière formule, pose la question de l’existence. Frege prend pour exemple « le corps céleste le plus éloigné de la terre ». Cette proposition a un sens, mais a-t-elle une dénotation ? De fait, pouvons-nous à ce jour, cerner l’existence du corps céleste le plus éloigné de la terre ?

Jacques-Alain Miller5 remarque l’importance de cette scission entre Sinn et Bedeutung et précise que ce dernier se traduit par : signifiant, référence ou ce qui dénote, ce qui pointe l’existence. Pour Frege, la question de la référence renvoie à la question relative à l’existence, dans la mesure où la valeur du Sinn, peut être prise tantôt comme sens, tantôt comme signification. Pour Jacques-Alain Miller, le sens décerne des attributs, des propriétés à quelque chose, construisant un être précieux, abominable ou imparfait. Pour autant, une fois décrit tous les attributs de cet être, rien ne nous assure qu’il existe. Il en est ainsi pour Don Quichotte qui, rencontrant une paysanne la voit comme une princesse couverte d’attributs. Cervantès nous montre que cet être, inventé par Don Quichotte n’existe pas.
Pour illustrer cela Jacques-Alain Miller prend un exemple donné par B. Russell, dans son texte « Undenoting » écrit en 1905, sur la dénotation : « le roi de France est chauve ». D’un côté il y a la description du roi de France en tant que chauve, ce qui donne un sens à ce que Frege appelle la proposition. Mais la question est de se demander si le roi existe en 1905 puisque ainsi que le signale Jacques-Alain Miller : en 1905, il n’y a plus de roi de France. Par cet exemple, Russell montre que le sens est au niveau de la description, soit en terme logique, au niveau de la fonction. Tandis que le réel est ce qui est visé à partir de la dénotation. De là est introduit le x, appelé variable, et le Sinn, la description écrit avec le F de la fonction. Pour Jacques-Alain Miller, dire que x est une variable ne veut pas dire que ça varie : une fois que c’est établi, c’est une constante qui vient remplir le trou à la place de l’argument, à titre de signifiant et comme exemplaire du signifiant Un. Du côté de la fonction phallique les attributs et descriptions sont relatives à une jouissance qu’on appelle sexuelle. C’est relatif à ce qui de la jouissance est pris dans le symbolique, dans son intersection avec le réel et appelé sens-joui par Lacan. Une analyse permettra de dénicher le Un de la jouissance hors-sens qui existe à la place de l’argument de la fonction phallique.

Dans le séminaire « RSI », Lacan considère que le symptôme s’écrit comme fonction de x, et rend compte de ce qui se jouit dans le corps en tant que lettre de jouissance. Pour repérer ce qui relève de l’universel de la fonction phallique, il est fondamental de prendre en compte les formules quantiques de la sexuation. Du côté homme, la négation de la fonction phallique au niveau de l’existence, fait exception. Côté femme, la négation de l’existence fait existence à la fonction phallique et la négation du tout est relative au pas-tout. Cette négation dont Lacan se sert est extraite chez les grammairiens, Damourette et Pichon, qui distinguent dans la langue deux types de négation : la négation discordantielle et la négation forclusive.

Notes :
1 Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Seuil, 2007, p. 65.
2 Frege G., Écrits logiques et philosophiques, « Fonction et concept », « Sinn et Bedeutung » et « Écrits logiques et mathématiques », Seuil.
3 Lacan J., Autres Écrits, « L’étourdit », Seuil, 2001, p. 456.
4 Ibid. , p. 457
5 Miller J.A., « L’un tout seul », cours du 16 mars 2011, inédit.



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